dimanche 5 décembre 2010

Des Faibles et des Forts comme distinction capitale.


Mon cher collègue,

Ces dernières semaines j’ai pris le temps de méditer votre remarquable contribution à l’élucidation du monde actuel. Vous êtes de retour sur la scène de la pensée, et beaucoup d’intellectuels s’en réjouissent alors que d’autres se remettent en position de méfiance. Mon objectif n’est pas de réfléchir votre propos à la place du lecteur, il est de le conceptualiser avec mes outils qui ne sont pas ceux de la sociologie.
Je suis d’accord avec vous pour dire que nous sommes dans une société qui répond de moins en moins par la voie discursive. La dissémination du discours profite à la violence. La médiatisation à outrance d’une information fabriquée sous le mode du « On dit » empêche l’esprit de se construire une idée précise. Les gens parlent sans connaître la question de départ. C'est-à-dire que la raréfaction du discours produit un état de connaissance brute que j’appellerai une épistémologie bestiale. Dans la mesure où nous ne savons plus nous situer synthétiquement dans les discours, nous avons perdu la sagacité du jugement au profit d’un bruit de fond. Nous avons été exclus de la maison discursive et les gens, dans leur majorité, se sont eux-mêmes mis à la porte des centres de décision. On leur fait entendre la rumeur que l’on a bien voulu diffuser, préparant déjà la suivante. Ainsi les milieux de pouvoir ont toujours une rumeur d’avance. Le peuple est l’ouvrier malade du discours cependant que les élites s’accaparent les outils spécifiques de la pensée. Nous sommes de ces élites résistantes qui donnent au troupeau une chance de vivre en dehors des principes de la conservation en dans les principes de la conversation. Le peuple doit entendre et recevoir le commandement ultime du discours actif. Sans cela, le peuple est mort, réduit à une société des coups et blessures.
En fonction des trois points décisifs sur lesquels repose votre idée d’une société qui « veut en découdre », je vais procéder à une lecture nietzschéenne en parlant des crimes que le peuple doit commettre s’il veut se donner une chance de vivre à partir d’un socle de grandes valeurs. Puisque Dieu est décédé du cancer de la pensée laïque, quelques surhommes comme nous ont su élaborer des grilles d’interprétation armées pour exister dans ce monde où les principes transcendants ont été enterrés. Nous devons comprendre que les réflexes religieux n’ont plus matière à vivre dans les couches de la vie. Les faibles vont à l’église tandis que les forts bâtissent un avenir objectif qui ne se détourne par pour autant de quelques impulsions du passé. Par conséquent je vais diviser les points de votre tripartition sociologique en parlant des faibles et des forts, ceci afin de mieux les reconnaître dans la société, ce qui devrait encourager plusieurs assassinats puisque les faibles ne sont rien d’autre que de nuisibles petits dieux stériles. Nous devons les aider à périr dans la plus pure tradition nietzschéenne, et cette grande mort s’accomplira par les fusils du concept et les mortiers de la pensée.

1/ Premièrement je reviens sur le problème de la CULTURE, ce qu’Hannah Arendt avait cru bon de saisir sous la tonalité de la crise. Ce qui distingue culturellement les faibles et les forts d’un point de vue culturel, c’est ceci : les faibles fonctionnent à partir d’un arraisonnement politique de la culture, c'est-à-dire qu’ils s’intéressent aux choses selon les valeurs qui sont supposées correspondre au parti politique de leur choix. Ce disant, et sachant que les faibles prennent refuge dans les extrémismes de tous les bords, ils ont une conception de la culture offensive. Les faibles sont certains que leurs convictions sont des certitudes, et l’on a vu les ravages que cela a pu faire depuis que madame Pécresse s’occupe des Universités, ou depuis que Frédéric Mitterrand poursuit une entreprise de médiocrité organisée. Or vous m’avez bien lu, ce qui signifie que je fais de Pécresse et de Mitterrand des extrémistes. Ils n’ont pas d’idée précise mais ils sont convaincus que c’est une bonne idée d’imposer leur vision de faibles. Qu’à cela ne tienne, les forts connaissent les avantages de reconnaître à la culture la possibilité d’un rhizome de vérités. Ainsi les forts s’enracinent dans toutes les cultures et ils en établissent ensuite un jardin d’acclimatation après avoir semé sur le sol les graines d’une connaissance ruminée sans préjugés ni certitudes. Les forts appliquent un principe de scepticisme doux parce qu’ils sont prêts à discuter de leurs connaissances. Et comme les faibles n’ont pas de connaissances exactes, ils frappent ceux qui ne se laissent pas persuader. On doit par là comprendre que le surhomme n’est pas un muscle ; le surhomme est un individu qui accepte sa singularité en même temps qu’il intègre en lui-même toutes les valeurs d’un monde nouveau où plus aucun deus ex machina ne vient dire qui est puissant ou qui est misérable. Mais la société de maintenant confond misère et puissance en tant que réfléchies sous le principe des nouvelles valeurs non transcendantes : on croit que les faibles sont les puissants et on croit que les forts sont les misérables. Inversons les valeurs, ce qui veut dire que nous sommes dans le devoir de tuer quelques grands dirigeants politiques. Je propose des camps de philosophie pour y parvenir en remplacement des colonies de vacances, trop frivoles pour inculquer aux jeunes un semblant d’action de l’esprit. Il y a du positif à savoir monter une tente, mais cela n’est pas essentiel à la survie en milieu cognitivement inhospitalier.

2/ Deuxièmement vous avez mis en évidence le problème de L’ESPACE, de la difficulté de se situer, bref de la complexité d’habiter le monde. Je parlerai moi de dépossession spatiale, certainement due à la mécompréhension du temps long de l’Histoire humaine. Dans la mesure où les faibles font des crédits pour acheter une télévision pour toutes les pièces de la maison, ils apprennent à regarder le temps en fonction du découpage télévisuel souvent brutalisant. Une minute on parle d’un produit pour nettoyer la cuvette des toilettes, l’autre minute on arrive au bulletin d’informations où l’on évoque la pénurie de médicaments en Haïti. Le faible vit dans le temps raccourci de la télévision, il croit alors que l’Histoire est un assemblage de cellules temporelles où il se passe des choses plus ou moins reliées entre elles. À l’opposé, les forts n’ont pas de télévision, et bien souvent ils ne sont pas forcément plus riches que les faibles abrutis du poste de télévision. La lecture accorde un rallongement de l’apprentissage, elle développe le sentiment de curiosité et d’exploration active lors même que la télévision amenuise ces qualités en banalisant la curiosité (par le contrôle de la télécommande) et en feintant l’exploration (par des séries de reportages en plein air). Vous comprenez donc qu’il n’y a pas pire faible que le père de famille qui détient la télécommande, choisit le film et le bulletin d’information, et patiente ensuite jusqu’à minuit pour se masturber devant une émission racoleuse pendant que la petite famille est couchée, ronflants moutons qui attendent le bélier. Les forts doivent alors falsifier les postes de télévision, ou alors mettre le feu aux grands distributeurs de ces produits néfastes. Il faut incinérer les magasins qui ressemblent à Darty, But, Boulanger et tous les autres qui s’y apparentent.

3/ Troisièmement vous avez pointé le souci de l’attachement à la FAMILLE, problème que nous avons conceptualisé par le principe de défamiliarisation. Ici, sont faibles tous ceux qui vivent chez leurs parents, offrent des cadeaux à Noël aux chômeurs de la famille, participent activement aux grands repas de fin d’année, et ainsi de suite. La famille défait le discours de la connaissance en insinuant des idées régulièrement pétainistes (Fils, travaille pour la famille qui travaille pour la patrie, la grande famille). L’ignorance et le racisme naissent le plus souvent de la famille. Peu de philosophes acceptent la vie de famille, et par extension le mariage. Nietzsche disait de ces philosophes potentiels que la vie de famille aurait fait d’eux des comiques dispensables. En quoi les forts qui savent appliquer la défamiliarisation sont presque tout le temps des philosophes, ou du moins des professeurs. Il y a un cas intéressant, c’est celui du professeur qui est né dans une famille de faibles, culturellement et spatialement (en l’occurrence, on peut imaginer un professeur dont la famille habiterait la banlieue d’une petite ville du Sud comme Antibes). Ce professeur sera haï des faibles, on voudra sûrement essayer de l’empoisonner, de lui faire porter le poids des clivages que les faibles eux-mêmes entretiennent. Si ce cas de figure devait s’avérer fréquent, je conseille aux forts de résister par tous les moyens du stoïcisme, ce qui devrait normalement provoquer des cancers généralisés chez les faibles. Le faible adore voir l’étranger s’énerver car il croit que l’étranger réagit. Donc l’étranger, entendez par là le membre de la famille déshérité des liens du sang faute de contracter la morale des faibles, ne doit en rien élever la voix contre les sangsues de la vérité que sont les faibles. La défamiliarisation passe ainsi par la domestication du silence, de la tenue de soi, ce qui forme déjà une structure d’indépendance suffisante. On peut donc être fort et cohabiter parfaitement avec sa famille de faibles, une excellente perspective pour le coup fatal bientôt porté. Pour la famille point de meurtre direct, elle finit par s’autodétruire quoi qu’il arrive.

Voilà à peu près quelles sont mes prescriptions et mes visions tardives de ce que vous avez si brillamment défriché. Le discours est une force vive qui peut même dans le silence faire reculer la violence. Se taire vaut mieux qu’entrer en querelle, et celui qui se querelle à tout venant finira par se taire bientôt en laissant la parole à ceux qui l’ont choyée en restant calmes et silencieux. Car la parole trompe ceux qui en abusent (par exemple par le lapsus), et l’on ne dira jamais assez que les forts parlent peu parce qu’ils savent tandis que les faibles parlent beaucoup de ne rien savoir, ce qui les oblige à devenir violents car il est épuisant de vouloir avoir raison sur des grands discours en ne possédant pas les arguments pour le prouver.

Bien spécifiquement vôtre, avec force et honneur,

K. Deveureux