vendredi 10 avril 2009

Zombie Town.


Professeur Bouachiche,

De nombreuses études en économie ont en effet montré que le marché avait en son sein la faculté de s’autoréguler. La fluidification des richesses a fait de l’argent une matière métaphysique dont le principe d’identité n’a plus rien à voir avec un principe descriptif. Les voies économiques ont creusé leur sillon, érigeant des entités particulières comme la « diagonale du vide » ou encore la « Ruhr ». Ces polarités, bien qu’elles soient déployées sur des cartes minutieusement tracées par des universitaires consciencieux, n’en restent pas moins étranges quand on se demande comment on peut accorder sa confiance à des systèmes qui ne possèdent aucune substance organique. Je demande alors à ce que nous interrogions de plus près l’ontologie des étants économiques et j’espère que cette question se suffira à elle-même en matière de captatio benevolentiae.
Notre constitution intellectuelle, à supposer qu’elle soit égalitaire, nous conduit au scepticisme dès lors que nous devons croire à quelque chose qui n’existe pas. Des études assez poussées ont été menées dans le domaine de l’horreur, à savoir que l’horreur est détentrice de ce paradoxe qui nous détermine à produire une émotion dont on sait qu’elle ne s’appuie sur aucun support réel. Loups-garous, zombies, monstres des cavernes et autres démons de minuit ont la double spécificité de n’exister point et de susciter malgré tout des réactions que je nommerais des « repoussoirs pavloviens ». Bien sûr ces réactions sont proportionnées aux affections de la conscience de chacun, l’émotif de nature ayant comme on le sait une propension cyclopéenne à se laisser impressionner par des créatures de fiction. Si nous accordons aisément la pertinence d’un tel paradoxe, nous ne saurions en revanche trop nous précipiter quant à la nature des étants économiques.
Fondamentalement, il apparaît que les êtres économiques se marient avec l’homo economicus. Mais qu’est-ce qui pousse ces hommes à considérer l’argent comme s’il s’agissait d’un totem ? En réalité, c’est tout le contraire d’une situation horrifique, l’argent étant de nos jours le synonyme du bonheur. En outre, comment qualifier ceux qui se ruent vers l’or sinon à l’instar des zombies qui s’agglutinent devant les viandes inertes ? C’est pourquoi je n’ai pas peur d’affirmer que le zombie fictionnel est un être qui possède davantage de libre-arbitre que les zombies attirés par le spectre du marché. L’argent n’a de fluctuation que dans les bureaux de change tandis que les viandes varient en fonction des températures et des corps auxquels elles appartiennent. Autrement dit, il vaut mieux se nourrir de viandes avariées que d’être soi-même la nourriture du marché. De plus, cela n’aurait pas de sens pour un zombie que de se laisser mourir puisqu’il n’a pas conscience d’être déjà mort, donc le problème de la qualité des nourritures ne se pose pas pour lui (par ailleurs, laissez-moi vous dire qu’un roman comme Vendredi ou la vie sauvage est à lui seul un manuel de survie qui disqualifie avec brio toute notion qui se proposerait de rendre nécessaire l’aspect carnivore de la réplétion, la « robinsonade » n’étant pas à la portée des automates – ainsi faudrait-il éventuellement réfléchir cette reprise du thème de la « robinsonade » par Michel Tournier comme l’illustration d’une anthropologie du point de vue nourricier). A l’inverse, se laisser mourir en tant que zombie de l’économie, cela revient à dire que nous sommes probablement un anorexique du free-market, seul le marché étant libre de procéder à la zombification.
Partant, j’aurais tendance à croire que le film d’horreur n’a pas encore tout à fait atteint sa dimension cathartique. Ce n’est pourtant pas le matériau qui fait défaut. L’amélioration des techniques cinématographiques va de pair avec l’amplification des horreurs imagées. Les corps empestent des envoûtements médiévaux, les maladies deviennent contagieuses avant d’avoir été incubées, et les spectateurs se gavent de plus en plus de sucreries en dépit des atrocités qu’on leur donne à voir. Cependant, personne ne se lève en s’apercevant que les films d’épouvante ne sont qu’une doublure des existences passées au rouleau de l’économie démoniaque. Si nous avons depuis longtemps noté que les morts-vivants de monsieur Romero incarnent la vérité de nos habitudes, nous n’avons pas encore mis en exergue que les corps violentés des films survival révèlent le symbole des violences psychologiques invisibles qui sont favorisées par la logique implacable de la micro-économie. Les festivals du film fantastique se trompent en primant des titres tels que La revanche des tomates moldaves ou encore Panique chez Télémaque. A mon sens, le meilleur film d’horreur de tous les temps n’est autre que La Firme, dont la trame est certes convenue et médiocre, mais qui exalte toute la puissance de zombification liée au monde du travail quand celui-ci dépend intimement d’une sphère économique. C’est donc toute l’idéographie du cinéma d’horreur qui doit se repenser, travail que je soumettrai en proposition de thèse car je n’ai pas le temps d’en exhiber toutes les implications.

Sans obséquiosité,

Konstantinos Deveureux

Super héros bis et slip molletonné.


Mon cher collègue,

Bien des interrogations ont fait halte dans mon esprit durant ces longues journées d'absence épistolaire. Je regrette de n'avoir pu me dégager de mes responsabilités citoyennes et universitaires mais la conjoncture actuelle, terme si cher à nos politiques, m'y a contraint. Je vais donc faire une corrélation avec la fonction sociale d'un président de la République et l'économie disparate de notre monde.
Vous n'êtes pas sans savoir que des élections se jouent en Algérie et que le scrutin risque d'être sans surprise. Ce qui me passionne, par delà les montagnes et les mers, c'est l'engouement social pour une politique à l'enjeu si prévisible. En ces temps de récession économique, où nous tentons de rétablir, et je dirais même de guérir, un système corrompu et archaïque, la population mondiale se réjouit, telle une épidémie euphorique, d'une élection commune dont le vrai sens démocratique a perdu depuis bien longtemps toute son essence. Pourquoi un tel relent de joie et de fierté patriotique ?
Un chef de l'Etat se définit donc comme une sorte de super héros pantomime de systèmes ancestraux ancrés dans une surenchère du profit véritable. La fonction première d'un président de la République n'est pas, à mon sens, la représentativité de ses valeurs. Or nous savons combien il est important pour un « superman » de porter un slip ou des moufles. L'économie s'est émancipée de la politique d’un chef d'Etat. Elle est autonome et souveraine : pourquoi essayer de l'attirer vers soi comme on tente de récupérer un ballon tombé dans un lac sans vouloir se mouiller ? Il faut qu'on m'explique. Cette machine à dollars et autres monnaies peu signifiantes broie des générations d'êtres humains, les poussant vers une précarité débordante et vers un misérabilisme social qui engendre un immense déchaînement de violence. Peut-on être aussi stupide au point d'ignorer ce fait ? Je laisse aux partis sectaires les critiques vilipendeuses de ces nantis, préférant me questionner sur le rôle sociologique d'un tel système.
Nous savons pertinemment que la politique d'un bien partagé amène dictature et rejet de l'intelligence particulière. Mais celle du profit, comme loi humaine, ne conduit-elle pas à une autodestruction assurée ? Autodestruction menée tambour battant par une inégalité sociale creusée par la soif du gain et de la propriété. « Travaillez plus pour gagner plus », ne serait-ce pas un vice de la sur-consommation ? Pourquoi gagner plus si ce n'est pour dépenser plus en bazar inutile ? On s'inscrit alors dans une contre-productivité des plus effroyables, et je n’énonce même pas les dégâts écologiques terribles. Ne pourrions-nous pas recréer à partir de nos erreurs une sociéte, certes utopique mais néanmoins sensée, où chaque personne utiliserait ses ressources de non-revenus étant donné que ces revenus sont acquis dès le départ pour la subsistance des besoins originels et vitaux ? Je ne reprends pas les termes d'un partage des richesses, stupide et fascisant, non, je parle d'une nécessité urgente d'employer les compétences de chacun au service d'une rétribution organique, non monétisée, assujettie et proportionnelle aux fondements des besoins vitaux de l'être vivant. Il est complexe d'endosser le rôle d'un leader et décideur d'un pays et on ne peut blâmer un homme qui tente d'appliquer sa volonté politique puisque nous l'avons choisi. Néanmoins mon esprit contestataire s'engage dès lors que cette volonté met en péril le sens même du mot « peuple ». Aujourd'hui, on divise les communautés, on les oppose, on les braque en niant jusque leur existence, provoquant ainsi un sentiment extrême d'injustice. Ce sentiment même d'injustice pousse les masses informes et moutonnières de la populace dans leurs derniers retranchements, engendrant de la sorte une destruction massive. Comme à mon habitude, je pouffe de rire et contemple ce monde d'un air triste et désabusé que même ma colère n'arrive plus à atténuer.

Bien à vous,

Khalid Bouachiche