dimanche 5 décembre 2010

Des Faibles et des Forts comme distinction capitale.


Mon cher collègue,

Ces dernières semaines j’ai pris le temps de méditer votre remarquable contribution à l’élucidation du monde actuel. Vous êtes de retour sur la scène de la pensée, et beaucoup d’intellectuels s’en réjouissent alors que d’autres se remettent en position de méfiance. Mon objectif n’est pas de réfléchir votre propos à la place du lecteur, il est de le conceptualiser avec mes outils qui ne sont pas ceux de la sociologie.
Je suis d’accord avec vous pour dire que nous sommes dans une société qui répond de moins en moins par la voie discursive. La dissémination du discours profite à la violence. La médiatisation à outrance d’une information fabriquée sous le mode du « On dit » empêche l’esprit de se construire une idée précise. Les gens parlent sans connaître la question de départ. C'est-à-dire que la raréfaction du discours produit un état de connaissance brute que j’appellerai une épistémologie bestiale. Dans la mesure où nous ne savons plus nous situer synthétiquement dans les discours, nous avons perdu la sagacité du jugement au profit d’un bruit de fond. Nous avons été exclus de la maison discursive et les gens, dans leur majorité, se sont eux-mêmes mis à la porte des centres de décision. On leur fait entendre la rumeur que l’on a bien voulu diffuser, préparant déjà la suivante. Ainsi les milieux de pouvoir ont toujours une rumeur d’avance. Le peuple est l’ouvrier malade du discours cependant que les élites s’accaparent les outils spécifiques de la pensée. Nous sommes de ces élites résistantes qui donnent au troupeau une chance de vivre en dehors des principes de la conservation en dans les principes de la conversation. Le peuple doit entendre et recevoir le commandement ultime du discours actif. Sans cela, le peuple est mort, réduit à une société des coups et blessures.
En fonction des trois points décisifs sur lesquels repose votre idée d’une société qui « veut en découdre », je vais procéder à une lecture nietzschéenne en parlant des crimes que le peuple doit commettre s’il veut se donner une chance de vivre à partir d’un socle de grandes valeurs. Puisque Dieu est décédé du cancer de la pensée laïque, quelques surhommes comme nous ont su élaborer des grilles d’interprétation armées pour exister dans ce monde où les principes transcendants ont été enterrés. Nous devons comprendre que les réflexes religieux n’ont plus matière à vivre dans les couches de la vie. Les faibles vont à l’église tandis que les forts bâtissent un avenir objectif qui ne se détourne par pour autant de quelques impulsions du passé. Par conséquent je vais diviser les points de votre tripartition sociologique en parlant des faibles et des forts, ceci afin de mieux les reconnaître dans la société, ce qui devrait encourager plusieurs assassinats puisque les faibles ne sont rien d’autre que de nuisibles petits dieux stériles. Nous devons les aider à périr dans la plus pure tradition nietzschéenne, et cette grande mort s’accomplira par les fusils du concept et les mortiers de la pensée.

1/ Premièrement je reviens sur le problème de la CULTURE, ce qu’Hannah Arendt avait cru bon de saisir sous la tonalité de la crise. Ce qui distingue culturellement les faibles et les forts d’un point de vue culturel, c’est ceci : les faibles fonctionnent à partir d’un arraisonnement politique de la culture, c'est-à-dire qu’ils s’intéressent aux choses selon les valeurs qui sont supposées correspondre au parti politique de leur choix. Ce disant, et sachant que les faibles prennent refuge dans les extrémismes de tous les bords, ils ont une conception de la culture offensive. Les faibles sont certains que leurs convictions sont des certitudes, et l’on a vu les ravages que cela a pu faire depuis que madame Pécresse s’occupe des Universités, ou depuis que Frédéric Mitterrand poursuit une entreprise de médiocrité organisée. Or vous m’avez bien lu, ce qui signifie que je fais de Pécresse et de Mitterrand des extrémistes. Ils n’ont pas d’idée précise mais ils sont convaincus que c’est une bonne idée d’imposer leur vision de faibles. Qu’à cela ne tienne, les forts connaissent les avantages de reconnaître à la culture la possibilité d’un rhizome de vérités. Ainsi les forts s’enracinent dans toutes les cultures et ils en établissent ensuite un jardin d’acclimatation après avoir semé sur le sol les graines d’une connaissance ruminée sans préjugés ni certitudes. Les forts appliquent un principe de scepticisme doux parce qu’ils sont prêts à discuter de leurs connaissances. Et comme les faibles n’ont pas de connaissances exactes, ils frappent ceux qui ne se laissent pas persuader. On doit par là comprendre que le surhomme n’est pas un muscle ; le surhomme est un individu qui accepte sa singularité en même temps qu’il intègre en lui-même toutes les valeurs d’un monde nouveau où plus aucun deus ex machina ne vient dire qui est puissant ou qui est misérable. Mais la société de maintenant confond misère et puissance en tant que réfléchies sous le principe des nouvelles valeurs non transcendantes : on croit que les faibles sont les puissants et on croit que les forts sont les misérables. Inversons les valeurs, ce qui veut dire que nous sommes dans le devoir de tuer quelques grands dirigeants politiques. Je propose des camps de philosophie pour y parvenir en remplacement des colonies de vacances, trop frivoles pour inculquer aux jeunes un semblant d’action de l’esprit. Il y a du positif à savoir monter une tente, mais cela n’est pas essentiel à la survie en milieu cognitivement inhospitalier.

2/ Deuxièmement vous avez mis en évidence le problème de L’ESPACE, de la difficulté de se situer, bref de la complexité d’habiter le monde. Je parlerai moi de dépossession spatiale, certainement due à la mécompréhension du temps long de l’Histoire humaine. Dans la mesure où les faibles font des crédits pour acheter une télévision pour toutes les pièces de la maison, ils apprennent à regarder le temps en fonction du découpage télévisuel souvent brutalisant. Une minute on parle d’un produit pour nettoyer la cuvette des toilettes, l’autre minute on arrive au bulletin d’informations où l’on évoque la pénurie de médicaments en Haïti. Le faible vit dans le temps raccourci de la télévision, il croit alors que l’Histoire est un assemblage de cellules temporelles où il se passe des choses plus ou moins reliées entre elles. À l’opposé, les forts n’ont pas de télévision, et bien souvent ils ne sont pas forcément plus riches que les faibles abrutis du poste de télévision. La lecture accorde un rallongement de l’apprentissage, elle développe le sentiment de curiosité et d’exploration active lors même que la télévision amenuise ces qualités en banalisant la curiosité (par le contrôle de la télécommande) et en feintant l’exploration (par des séries de reportages en plein air). Vous comprenez donc qu’il n’y a pas pire faible que le père de famille qui détient la télécommande, choisit le film et le bulletin d’information, et patiente ensuite jusqu’à minuit pour se masturber devant une émission racoleuse pendant que la petite famille est couchée, ronflants moutons qui attendent le bélier. Les forts doivent alors falsifier les postes de télévision, ou alors mettre le feu aux grands distributeurs de ces produits néfastes. Il faut incinérer les magasins qui ressemblent à Darty, But, Boulanger et tous les autres qui s’y apparentent.

3/ Troisièmement vous avez pointé le souci de l’attachement à la FAMILLE, problème que nous avons conceptualisé par le principe de défamiliarisation. Ici, sont faibles tous ceux qui vivent chez leurs parents, offrent des cadeaux à Noël aux chômeurs de la famille, participent activement aux grands repas de fin d’année, et ainsi de suite. La famille défait le discours de la connaissance en insinuant des idées régulièrement pétainistes (Fils, travaille pour la famille qui travaille pour la patrie, la grande famille). L’ignorance et le racisme naissent le plus souvent de la famille. Peu de philosophes acceptent la vie de famille, et par extension le mariage. Nietzsche disait de ces philosophes potentiels que la vie de famille aurait fait d’eux des comiques dispensables. En quoi les forts qui savent appliquer la défamiliarisation sont presque tout le temps des philosophes, ou du moins des professeurs. Il y a un cas intéressant, c’est celui du professeur qui est né dans une famille de faibles, culturellement et spatialement (en l’occurrence, on peut imaginer un professeur dont la famille habiterait la banlieue d’une petite ville du Sud comme Antibes). Ce professeur sera haï des faibles, on voudra sûrement essayer de l’empoisonner, de lui faire porter le poids des clivages que les faibles eux-mêmes entretiennent. Si ce cas de figure devait s’avérer fréquent, je conseille aux forts de résister par tous les moyens du stoïcisme, ce qui devrait normalement provoquer des cancers généralisés chez les faibles. Le faible adore voir l’étranger s’énerver car il croit que l’étranger réagit. Donc l’étranger, entendez par là le membre de la famille déshérité des liens du sang faute de contracter la morale des faibles, ne doit en rien élever la voix contre les sangsues de la vérité que sont les faibles. La défamiliarisation passe ainsi par la domestication du silence, de la tenue de soi, ce qui forme déjà une structure d’indépendance suffisante. On peut donc être fort et cohabiter parfaitement avec sa famille de faibles, une excellente perspective pour le coup fatal bientôt porté. Pour la famille point de meurtre direct, elle finit par s’autodétruire quoi qu’il arrive.

Voilà à peu près quelles sont mes prescriptions et mes visions tardives de ce que vous avez si brillamment défriché. Le discours est une force vive qui peut même dans le silence faire reculer la violence. Se taire vaut mieux qu’entrer en querelle, et celui qui se querelle à tout venant finira par se taire bientôt en laissant la parole à ceux qui l’ont choyée en restant calmes et silencieux. Car la parole trompe ceux qui en abusent (par exemple par le lapsus), et l’on ne dira jamais assez que les forts parlent peu parce qu’ils savent tandis que les faibles parlent beaucoup de ne rien savoir, ce qui les oblige à devenir violents car il est épuisant de vouloir avoir raison sur des grands discours en ne possédant pas les arguments pour le prouver.

Bien spécifiquement vôtre, avec force et honneur,

K. Deveureux

jeudi 18 novembre 2010

Machine à découdre.


Cher Professeur,

Voilà bien longtemps que je n'avais pris la plume. Mais comme je le répète souvent à mes étudiants, le silence est nécessaire. Il permet d'entrer en communication avec la cosmogonie humaine.
Vous le savez sûrement, cher collègue, j'ai eu quelques difficultés personnelles ces temps-ci, je ne rentrerai pas dans les détails mais la mort n'est jamais de bonne compagnie. Le moment est venu pour ma personne de me remettre en route sur les chemins de la connaissance et de promouvoir la pensée corrosive et revendicatrice. Je me suis tu suffisamment longtemps pour crouler sous une masse d'informations erronées, indigestes, et d'une bêtise sans comparaison. J'en ai assez de supporter cette montée d'agressivité qui consiste non pas à revendiquer de réelles convictions mais à vouloir à tout prix en découdre avec n'importe quelle autorité.

En cette période de trouble politique, je remarque que la masse facebookienne a une faculté accrue de s'interloquer de toutes choses et de vouloir nous servir une soupe guerrière teintée de « je ne suis pas d'accord ». Il est là, on y est, nous entretenons l'objectif premier de l'humanité du 21ème siècle, à savoir «gagner». Gagner quoi ? Je vous le demande. « Avoir raison » est finalement le nirvana de la construction de soi. On est en pleine phase orgasmique lorsqu'on arrive à gagner la raison universelle, la raison incontestable, celle qui prévaut sur tout. Nos rapports changent. La faisabilité d'un dialogue n'est actuellement régie que par un critère de colère nécessaire. Le débat n'existe plus et on laisse aux gestes violents la crédibilité des bons argumentaires. Un glissement s'opère et on cherche par dessus tout à s'affirmer par la violence. Cela marque indubitablement le manque cruel de culture qui permet d'énoncer des positions militantes sans une once de domination physique. Cet exercice de joute verbale motivée par le déterminisme secret de déposer cette raison absolue sur la tête du cadavre encore fumant de son interlocuteur ne me gêne absolument pas tant que celui-ci reste dans une dynamique didactique. Dès lors que l'on soustrait cette option pédagogique de la confrontation dialectique, on récupère des conversations stériles qui ne mènent qu'au pugilat. Je regrette cette dérivation de la communication humaine. Je l'attribue bien sûr à ces médias qui ne proposent que des pensées prémâchées et qui donnent aux incultes le droit de s'exprimer.
Par ailleurs je note de plus graves accusations dans la pratique discursive. Celles-ci sont les symptômes précurseurs de la perte de notre humanité. J'évoque naturellement la notion de déni. Le déni de valeur. On arrive dans une période naturelle que l'on applique généralement au deuil. On dénigre de façon instinctive le véritable but de notre soif de conquête pour entrer dans une forme de démence. On bave de colère, on trépigne en dedans et à la moindre occasion, dès lors que l'on aperçoit une brisure dans le mur superficiel de l'identité d'autrui, on n’hésite pas à utiliser son marteau piqueur de la raison futile et gratuite pour détruire pierre par pierre cet édifice ridicule. Alors je pose cette question : pourquoi des générations entières perdent le contrôle de leur discours pour en arriver au point de rupture de la raison sous couvert d'avoir raison ? Je ne prétends pas connaître tous les tenants et les aboutissants d'un tel comportement, néanmoins j'en ai déjà esquissé quelques contours. Je vais exposer un cas pratique.

Lors de mon dernier passage en terre tunisienne, j'ai assisté à une scène particulièrement éloquente. Le contexte fut simple : trois générations de femmes se promenaient dans la rue. Quand la dernière âgée de 4 ans se mit à courir vers un landau, ravie de voir un nouveau né, le bambin se mit à secouer la poussette. La maman, assise au café, dit gentiment au petit monstre à deux pattes de ne pas s'accrocher sous peine de renverser le contenu, à savoir le bébé. Sans que je ne m'en aperçoive, le ton est monté, et ces femmes d'allure tranquille se changèrent en de véritables amazones des temps modernes. Nous pouvons pardonner aux dernières générations leur manque de repères mais la grand-mère, celle dont la sagesse doit faire jurisprudence, n'avait-elle pas mieux à faire que de disperser sa salive venimeuse agissant ainsi comme une dynamo du conflit ? Est-ce un manque d'intelligence de sa part ? Un point de rupture comportemental sous-tendu par une crise économique difficile ? Ou simplement l'envie de s'affirmer comme un chef de famille incontestable qui protège sa progéniture ? Eh bien il s'agit là d'un savant mélange des trois. Bien avant l'ère du « tout accessible », j'entends par ce terme la prolifération d'informations mondiales que déverse internet, un seul de ces trois critères qui découlent de ces trois questions se trouvait être l'axe dominant du comportement humain. Bien sûr, un turn-over existe et, suivant le moment de sa vie, l'axe dominant est changeant. La tempérance était donc de mise car il y avait toujours un autre axe pour réguler la montée et le déversement du flot d'agressivité. Ces axes, qui sont au nombre de trois, quels sont-ils ?


Le premier se trouve être la culture, ou plutôt l'éducation ou l'éveil à la différence. La télévision et son flot de programmes attardés s'est bien vite chargée de remplacer la pratique pédagogique de la conduite en société par l'exhibitionnisme outrancier, le non respect des différences et la mise en abyme de l'utilisation d'autrui comme papier hygiénique de sa propre merde éducative. Ainsi, on se retrouve essuyé de toute valeur. Le second axe relate quant à lui la difficulté de se concevoir dans un espace donné. Avec la mondialisation et une économie qui nous échappe, la construction de soi est en proie à la dilution spatiale et on se perd dans un infini territorial. Et pire encore, le terrorisme mondial a créé un sentiment de méfiance et de peur envers notre environnement immédiat. Ainsi, on se retrouve amorphe, apeuré et sans aucune conscience de son espace de vie. Le dernier axe parle de l'emprise de la cellule familiale sur la conscience de son être. Ainsi on se retrouve dépourvu du sens et du devoir de la curiosité extra-familiale. Ces trois axes d'étude comportementales ont éclaté et par là même fusionné pour créer chez l'homme ce désir irrépressible de vouloir en découdre. Plus aucune régulation n'est possible et la violence finit par s'imposer comme unique moyen de communication viable.

Je ne conclurai pas ce courrier en donnant une idée des conséquences dramatiques de cette évolution du comportement humain. Je n'ai pas envie de jouer à Nostradamus néanmoins je laisse à chacun la liberté d'émettre ses propres hypothèses. Le temps se durcit, l'avenir devient sauvage et nous serons ensevelis par une brume épaisse aux lames tranchantes.

A mon regretté amant, Césàrio Callero, artiste, saltimbanque, qui tout au long de sa vie durant à cherché à rendre à ses semblables la vie agréable.

Un K.B endeuillé

lundi 25 octobre 2010

Stèle à Georges Frêche.


Maintenant déterritorialisé de sa région et plus généralement de la maison de l’être, Georges Frêche rassure les poules frigides du Parti Socialiste. Hélène Mandroux publiera ce mercredi ses gloussements politiques, précédés d’un commentaire composé de Martine Aubry, prémisses misérables d’un syllogisme de l’amertume. D’un côté restera la statue active qui savait parler, de l’autre la perpétuité d’une parole qui engloutit le moindre indice d’agir. Les obsèques du Roy mettront en scène la passivité normalisée des socialistes, ces éléphants qui se regrouperont au cimetière de leur contradicteur formel afin d’essayer de faire exister leur propre trépassement. Le PS a ceci de spécifique que c’est un parti qui ressuscite pour chaque fois décéder encore. Le guano aqueux du Phénix a vaincu l’incandescence du retour : l’oiseau s’est fait plomber et Georges Frêche est accusé d’avoir tiré un coup de carabine.

L’homme nous plaisait parce que l’homme était plaisant. Même dans la rigidité cadavérique il continue d’exercer une séquence causale puisque les socialistes, ex-sympathisants, veulent depuis hier prendre du recul. Autrement dit Frêche attire la compassion tout en suscitant la crainte. Le discours politique se réforme de lui-même, preuve que la cabale organisée que subissait Frêche n’était rien d’autre qu’un jeu de politique, un jeu de langage propre à satisfaire l’homo ludens. Les « dérapages » de Frêche engendraient les grandes indignations trop médiatisées pour être sincères. Nul n’avait cru utile de raffiner sa critique en subodorant que les « sous-hommes » pouvaient l’être selon un angle nietzschéen – on aurait tellement apprécié que Frêche fût contredit de la sorte, ne serait-ce que pour donner une raison de rendre l’objection politique intéressante. En sautant à la gorge de Frêche, le PS voulait davantage se mettre en évidence que sauver la face des Harkis. C’est que le PS a été éloquent dans sa manière de faire équivaloir les propriétés de l’éléphant et celles du mouton. La trompe impuissante bêlait sa colère. Puis le mouton se noircissait en grisonnant. Ne nous manque plus que le « chien blanc » de Romain Gary pour venir mordre ces chevilles. Ce mercredi, à Montpellier, nous prions donc un audacieux trouble fête de lâcher parmi les vestes noires du PS un bichon enragé. On se délecterait d’une Martine Aubry bondissante (enfin !) parce que poursuivie par un bichon belliciste. En aparté, Ségolène Royal préparerait une action brave…

En tout cas, Frêche a fait de Montpellier un Saint Empire extensible. Comme un fait exprès, s’ouvre aujourd’hui le tournoi Open Sud de France, qui doit énormément à la contribution impartiale du « baron ». L’intensité tennistique condense l’œuvre urbaine de Georges Frêche : il avait su prendre la balle politique au sommet du rebond pour étouffer son adversaire en fond de court. Frêche montait au filet, coupait en revers un passing mou, laissant sur le carreau les éléphants amorphes qui frappent en reculant – gros défaut du tennis quand on débute. La métaphysique nous enseigne que les « particuliers amorphes », à trop vouloir faire l’économie de propriétés et de relations postulées et/ou réfléchies, manquent abominablement de structure. Aubry, Royal, Fabius, Hamon, ce ne sont que des particuliers amorphes, déstructurés, sans relations apparentes entre eux, y compris les relations les plus élémentaires. Eux aussi ne faisaient que réagir à Georges Frêche dans la mesure où ce dernier produisait l’énergie nécessaire à toutes les réactions qu’il avait probablement anticipées. Or dès qu’on parle de nécessité, on se permet de dire que ce qui est nécessairement vrai l’est dans tous les mondes possibles. Ainsi, même dans le monde sur-naturel et hyper-physique de la mort, Georges Frêche subsiste en tant que force vive. Le lecteur verra mercredi des opportunités de ruminer cette métaphysique martelée.


K. Bouachiche, K. Deveureux.

vendredi 15 octobre 2010

Sur une vague contestation lycéenne.


Nous avons à dire des choses sur l’émergence des lycéens dans les conflits sociaux. Ce sont à notre avis des fous qui ne savent pas ce qu’ils font. Comment des raisons qui ne sont pas encore adultes peuvent préférer les vociférations urbaines à la chance d’apprendre à connaître ? L’accessibilité à l’école, en dépit des contenus scolaires qui dépérissent, doit être préférable à une revendication qui touche de très loin l’état de nature des adolescents anté-bacheliers. Le lycéen ne comprend guère que les fonctionnaires ne feront plus jamais une grève générale parce que le système est quand même trop bon pour qu’on veuille le réformer à la proportionnelle des revendications. Autrement dit, plus on met de la voix, moins on agit. Le sens même de la grève reconductible dilue la possibilité d’une grève continuée. Les lycéens deviennent alors une caution épistémologique pour des grévistes mous : en descendant battre le pavé, ils déraisonnent à la place de ceux qui devraient les raisonner, et du même coup ils infligent à la grève un coefficient d’action que les fonctionnaires approuvent à distance. Les uns risquent de saccager une fois de plus leur année scolaire quand les autres leur diront que les examens doivent quand même être soutenus. On sait pertinemment que le professeur rebelle finira toujours par revenir à son lieu naturel. Il en est de même pour les étudiants chevelus qui font mine de se rebeller : comme ils sont en dernière année de licence ou vaguement agrégatifs, on leur suppose malgré tout un degré de fayotage qui ruine leurs intentions phénoménales. Toute grève, ainsi, exténue sa phénoménalité en espérant dissimuler un maximum de temps son essence ou, si l’on préfère, sa nature. Le gréviste moderne n’est rien d’autre que le meilleur rempart du système. Et le lycéen qui fomente les réunions publiques en tapotant sur son I-Phone insulte le gréviste potentiel qui travaille sans avoir les moyens de socialiser à travers des expédients technologiques. En outre, toute technologie, dans les grèves, fonctionne à l’instar d’un détour, d’une mise à distance, bref d’un retardement de l’action véritable qui agira comme condition nécessaire et suffisante d’une crédibilité de la revendication. Ces opinions qui ne prétendent pas être pleines de savoir constituent une relative sympathie pour Jean-Luc Mélenchon, à ceci près que nous ne faisons que citer un nom de commodité pour un avis qui soutient quelque chose de radicalement nouveau : la politique du savoir apprendre à vivre autrement que comme un réagissant.


Le lycéen incarne la déclinaison aggravée du gréviste réactif. Nous n’avons dans les rues que des réactifs amorphes. Comment peut-on croire à des gens qui se plaignent et qui finissent par retourner travailler, le tout de façon cyclique, presque liturgique ? L’actif, au sens nietzschéen, aurait sans aucun doute fait ses valises pour tester son hypothèse ailleurs. L’actif n’a pas besoin d’un syndicat qui, de toute manière, réagit pour mieux prendre le contrôle des grèves. Les syndicats étouffent la puissance d’action des gens concernés. Ils entravent l’élargissement de la réflexion en cantonnant les exceptions sociales à des schémas narratifs trop généralisés. Or si l’exception devient le général, les lois du marché peuvent se réajuster sans peine. Au contraire, si nous avions des grèves spontanées, dé-syndicalisées, nous serions alors en mesure d’éprouver une politique dans ce qu’elle a de plus fragilisé, à savoir sa faculté d’improviser. En France la grève est un calendrier prévisible avec ses années bissextiles. Pas de quoi s’inquiéter.


Le lycéen, aussi curieux que cela paraîtra au lecteur, est prêt à ensanglanter la rue de ses plaies multiples, à se solidariser à l’ouvrier, mais une fois que le temps officiel de l’orientation viendra, il délaissera le monde ouvrier pour espérer secrètement (voire ostensiblement) rejoindre le monde si décrié de la fonction publique. En admettant que la fonction publique ait été dégradée par les décisions du gouvernement, comment expliquer la force d’attraction que ces secteurs exercent toujours ? Pourquoi les concours de recrutement de l’enseignement rencontrent-ils un succès infaillible malgré les critiques insatiables ? Il doit y avoir dans les coulisses d’un quelque part un argument irrationnel que nous n’osons formuler. Disons que nous le comprenons en ces termes : la fonction publique brandit l’étendard de la solidarité quand cela l’arrange, dans le seul objectif d’augmenter l’étendue de sa subjectivité; ce qui fait que la fonction publique se constitue comme Sujet désireux de se préserver à tout prix en prenant la plupart des autres pour des ustensiles en vue de parvenir à cette fin objective. De même chez le lycéen gréviste : on fera attention de « présenter bien » durant les manifestations, cependant on fera attention de rattraper le cours pour le contrôle de physique-chimie de la semaine prochaine. Cela démontre bien que le gréviste pèlerin a son arrière-monde tandis que le gréviste authentique n’a rien que le monde qui est véritablement celui de tous mais qui semble délaissé par des poignées d’opportunistes.


La lycéenne paradigmatique, arborant autour de son cou le keffieh de Yasser Arafat, c’est la même que vous retrouverez à faire des fellations intéressées dans un IUFM d’ici quatre ou cinq ans. Elle aura crié, elle aura fait sa poissonnière partisane, mais désormais il lui faudra entrer dans la fonction publique car cette fonction si repoussante l’autorisera à se remettre en grève religieuse, à élever ses enfants, et finalement à perpétuer un principe de réaction qui est incompatible avec le système d’une vie sincèrement créatrice et active. Nous le redisons alors : il n’y a pas de grévistes dans les rues, il n’y a que des gens en pèlerinage qui entretiennent un arrière-monde qui nie des exceptions pourtant indispensables à la survie d’un « nous concret ». De plus, la répétition inlassable d’un processus revendicatif qui ne fonctionne plus, c’est bien la preuve ultime que l’esprit de création a cédé le pas à un esprit de la complaisance qui, au fond, s’amuse bien dans ces petites festivités urbaines, précédant la fameuse soirée télévision où tout le monde s’apaise et s’endort. À Noël, tout ceci sera oublié, les enfants des grévistes seront quand même gâtés, et Dora l’Exploratrice fera la fierté de ceux qui agissent moins qu’une petite merdeuse fictive et assurément frigide.


Professeurs Bouchiche, Deveureux.

mardi 5 octobre 2010

Il y a longtemps que nous aimons Philippe Claudel et que nous détestons Beigbeder.


Chers lecteurs,

Autant nous avions émis des critiques sévères envers Ariane Fornia – et plus spécifiquement sur ce dont « elle est le nom » au sens où Badiou pose la question pour Nicolas Sarkozy –, autant nous ressentons le devoir moral de nous attarder davantage sur le cas d’un écrivain qui, à défaut de pouvoir encore se réfugier derrière un degré certain d’incertitude, déchire le paysage littéraire français. Cela veut dire que mademoiselle Fornia est éligible dans la critique lorsqu’elle admet humblement s’essayer à la constitution d’une œuvre, ce qui revient à dire qu’elle est provisoirement sauvée, contrairement à celui que nous ne pouvons même pas appeler son homologue tant il se situe au plus faible niveau de la nervosité créative. Nous voulons donc prendre de notre temps pour remettre à sa juste place Frédéric Beigbeder – nous entendons la justesse de sa place dans son acceptation purement morale : l’éthique ancienne, dont la contribution d’Aristote a livré de bien belles pages, stipule que la finalité des individus s’exprime par le déploiement des dons naturels, que ces derniers soient pour faire de la politique ou soulever des pierres; par conséquent la justesse est atteinte quand la fonction de chaque individu s’accorde avec l’ordre de la nature cosmique – l’individu s’est éloigné des extrêmes de la démesure afin de trouver son milieu naturel, ou pour ainsi dire sa plus haute vertu. Le cas de figure de Beigbeder est très intéressant puisque l’auteur injustement consacré abuse de la démesure depuis presque toujours : il est dans une croyance de vertu alors même qu’il passe d’un extrême à l’autre, sans autre argument d’existence que celui d’un arrivisme décomplexé, situation commune à tout personnage en quête d’un peu de révolution dans un système qu’il soutient malgré lui. La rebéllocratie a de quoi prétendre à l’immortalité. C’est précisément parce qu’elle est kratos qu’elle échoue à fonder sa crédibilité.

Beigbeder a récemment publié dans Le Figaro Magazine une chronique lapidaire (comme tout ce qu’il fait faute d’avoir véritablement quelque chose à développer) qui se donne pour noble mission d’être une didactique du roman. En d’autres termes, en s’attaquant au romancier Philippe Claudel, le très professoral Beigbeder indique les erreurs « classiques » qui feraient qu’on raterait nécessairement l’écriture de son roman – et qui font nécessairement que Claudel aurait raté le sien avec brio. Le frivole Beigbeder inventorie sept points à éviter, sept points que nous voulons successivement discuter en réunissant leur contenu en cinq parties complémentaires (comprenez ainsi que Beigbeder se répète au moins deux fois malgré son allure d'homme pressé) :

1/ Apparemment, point crucial, Claudel aurait manqué la vocation typique du romancier du seul fait qu’il est professeur de lettres. Il suit de là qu’une didactique chercherait à s’opposer à une autre, fruit d’une querelle mise sur le tapis par Beigbeder, puisque celui-ci propose sept leçons providentielles pour se sortir des grands défauts littéraires. Conclusion : le romancier se doit d’être indépendant des règles les plus formelles, complètement autonome, faisant toujours confiance à la fécondité de son égo – on aurait alors tellement espéré que Beigbeder aille plus loin dans sa démonstration, qu’il contacte le rédacteur du Figaro Magazine à dessein d’augmenter son espace argumentatif et typographique. En conformité avec ce qui précède, avec l’intention formelle de Beigbeder, on lui conseillera donc comme lecture fondamentale La critique de la faculté de juger de Kant. Il y apprendra deux choses : que l’antinomie du goût pose les jalons d’une discussion en toutes choses de l’art en dépassant les apories du « j’aime / j’aime pas » binaire, et que les paragraphes consacrés au génie ne posent pas que la génialité fait rupture avec les œuvres potentiellement moins réussies. Au contraire, le génie kantien organise un surplus de communication en schématisant les confusions qui feraient que le public se situerait encore dans la confusion du « j’aime » et du « j’aime pas », visiblement le mode de réflexion choisi par Beigbeder – je n’aime pas que Claudel soit professeur de lettres, donc je pars de ce principe apodictique qu’il aurait usurpé sa fonction naturelle de romancier. Si nous retournons l’argument à la biographie de Beigbeder, nous obtenons que son milieu bourgeois l’aura naturellement propulsé vers ce coefficient d’indépendance où seul le talent naturel s’exprime, détaché de toute contrainte, et absolument certain de réussir chacune de ses entreprises livresques. Or Beigbeder serait bien aise d’apprendre que même le génie de Kant n’est nullement dispensé de recommencer et de retravailler son ouvrage, bref que le génie est quand même un travailleur acharné qui prend en considération la supériorité de la beauté naturelle avant de venir faire le petit prétentieux sur l’œuvre de ses confrères. À la limite, si le piètre auteur et chroniqueur désirait embaucher un avocat, il pourrait trouver de la matière dans les formules tapageuses d’un Vauvenargues. Résultat sans appel, par conséquent : selon Beigbeder, même Daniel Pennac et Philip Roth ont raté leurs romans. Que dira-t-on si, dans deux jours, Roth obtient le Nobel de Littérature ? On souhaitera ardemment voir Beigbeder monter au créneau.


2/ Le deuxième argument subodore que Claudel aurait eu la tentation de devenir oisif après la réception d’un prix littéraire. Cet argument se complète avec le troisième qui dit rigoureusement la même chose par rapport au succès du film Il y a longtemps que je t’aime, primé par un César. Si nous en croyons Beigbeder dont l’existence a été si grandement dissolue (tout le monde connaît son ascension absolument méritocratique), le film de Claudel « dégoulinerait de bons sentiments ». Voilà spécifiquement un monsieur qui ne connaît rien au sujet de ce dont il tente de parler en assénant les bonnes leçons, en l’occurrence du milieu carcéral et de ses périphéries qui était le sujet principal du film ci-devant accusé. Il est pourtant notoire que bon nombre de connaisseurs et de fonctionnaires du milieu carcéral ont approuvé le traitement limpide et pudique de Claudel, qui n’a pas cherché à déborder la conscience du spectateur, mais qui a plutôt préféré cueillir une émotion quitte à la restreindre à un quotidien malheureusement beaucoup partagé – chose que ne saurait connaître Beigbeder puisque ses petites virées « illicites » sont loin de représenter une maxime de l’action fondamentalement morale (on le renverra ici aux Fondements de la métaphysique des mœurs – encore Kant ! À croire, donc, que Beigbeder aurait de sérieux problèmes avec la moralité et sa manière de se constituer des lois, surtout des lois qui exigent des exceptions uniquement pour soi).


3/ Il suit de là que Beigbeder s’enlise dans la contradiction. Il affirme ensuite que Claudel aurait choisi pour son roman L’enquête un sujet auquel il ne connaît rien. On repère ici le priapisme de l’égo dont souffre Beigbeder, c'est-à-dire qu’il soutient explicitement cette théorie obsolète qui prétend que toute émotion d’artiste est chaque fois connectée à l’idée qui lui correspond en perfection; autrement dit il défend que l’authenticité véritable consiste en une recension maladive des expériences de sa petite vie, et rien que de ces expériences particulières et subjectivées à l’envi. Dommage pour Beigbeder mais il semble que pas mal de monde se moque des tribulations d’un arriviste petit-bourgeois, ou du moins que sa littérature pseudo-séditieuse tombera dans l’oubli aussi promptement que ses manières d’exister sur l’espace public. Car du seul point de vue sociologique, Philippe Claudel, par son premier métier d’enseignant, est sûrement plus utile qu’un Beigbeder gesticulant à tort et à travers des absurdités qui ne se soutiennent pas elles-mêmes – ou alors qui sont soutenues par quelques médias corrompus et plusieurs consciences malades, ou plutôt par plusieurs consciences qui admirent Beigbeder dans l’espérance de lui ressembler un jour, ce qui est extrêmement grave.


4/ La suite de la critique non kantienne de Beigbeder tient lieu de spéculation psychanalytique : Claudel se prendrait pour Buzzati. La puissance de l’argument est si renversante qu’on ne voit pas, au premier abord, comment répondre à une telle surbrillance. Apparemment, à supposer que Beigbeder ait construit sa chronique comme un Traité pour réussir son roman, il adjoint à sa psychanalyse d’emprunt le fait que Claudel aurait échoué à travailler ses personnages puisque les personnages en question ne portent pas de noms – ils ne sont que des substantifs. Ceci suffirait à dire que Claudel a taillé des personnages unidimensionnels, ce qui est, convenons-en, très faible. Retraduit dans le langage de Beigbeder, on obtient ceci : tout roman potentiel qui n’est pas celui de Claudel sera supérieur au roman prétendument raté de Claudel en cela que ses personnages auront une identité administrative, qu’il connaîtra son sujet dans les moindre détails (Proust, on le sait bien, connaissait parfaitement l’essence de la jalousie vu la qualité de ses relations sociales…), et surtout qu’il ne sera pas écrit par un pauvre professeur de lettres qui « nous prend pour des cancres ». Encore une fois, sur la seule identité des personnages, il faudrait renvoyer Beigbeder dans un cours de philosophie de la littérature : la lecture attentive du problème de l’identité chez John Locke devrait lui apprendre que le versant administratif n’est probablement pas un critère décisif pour parler de quelqu’un en nature et en épaisseur. Mais cela vient probablement du fait que Beigbeder applique une morale antique (au sens exigu puisque L’Éthique à Nicomaque introduit la notion de prudence qui ouvre à une conception de l’égalité plus fine) alors que Claudel ne prétend appliquer aucune moralité, ni faire la morale, et encore moins la leçon, ce qui nous laisse penser qu’il exemplifie assez allègrement le modèle de la moralité kantienne. Soit : Beigbeder nous ennuie dans son essai d’omnipotence tandis que Claudel fait de la morale en dormant, ce qui est tout de même beaucoup plus noble.


5/ Enfin, le meilleur, Beigbeder nous offre une sentence sur la littérature engagée, sur le fait que Claudel se serait cru investi d’une mission et que cela serait tombé à l’eau à cause d’un trop plein d’ostentation. Décidément ce Beigbeder est génial dans sa capacité d’autodestruction : croit-il que nous ne comprenons pas en quoi sa littérature est une excroissance de son égo qui espère par là même reformuler l’unidimensionnalité dont il n’a toujours pas guéri le moindre stigmate ? Le comble de sa vulgarité a probablement résidé dans la mise en scène du drame du 11 septembre 2001 : nous ne doutons pas que Beigbeder connaissait quelque chose de son sujet… Pourtant des critiques largement moins gentils que nous auraient apprécié que Beigbeder se trouvât effectivement dans les tours ce jour-là. Nous souhaiterions donc, à l’avenir, davantage de consistance dans les DRH des magazines culturels. Remplacer Beigbeder par Claudel serait un commencement bienvenu.

En vous priant, si possible, de faire relayer ce message le plus largement, ne serait-ce que dans une volonté de rendre plus salubre le paysage littéraire français. Car, dans le fond, notre intention est d’alarmer sur l’existence et la prolifération des gens comme Beigbeder dans notre paysage culturel en général. Et aussi, de manière partisane, parce qu’il y a longtemps que nous aimons Philippe Claudel.

Bien cordialement à vous,

Professeurs Bouachiche, Deveureux.

mercredi 8 septembre 2010

Quotations 4.


L'aptitude à s'isoler est importante dans la construction d'une réflexion saine. Une fois cette réflexion construite, on peut aisément passer l'épreuve de la diffusion et de la contestation qui en découle afin de s'ajuster au plus près de la réalité sociologique. (K. BOUACHICHE).

Le minaret, en soi, n'est pas dérangeant pour les politiques révisionnistes suisses, il est au contraire une perche pour à nouveau envisager de faire appliquer des valeurs prudes. (K. BOUACHICHE).

On dispose d'une faculté de tomber dans le crétinisme dès lors que nos idées rationnelles sont soumises au système de la peur. Inversement, lorsque nous sommes davantage dans le domaine de la raison, nous avons une tendance naturelle à nous rattacher au moindre fait que l'on juge réel. Ceci nous reconduit ainsi au domaine du raisonnable et par conséquent au domaine du supportable. (K. BOUACHICHE).

Il faut reconnaître que les défauts des établissements de l’enseignement supérieur se condensent principalement en ceci qu’ils sont saturés de théories, lesquelles finissent par ne plus comprendre le rapport qui les unit à leurs domaines d’application. (K. DEVEUREUX).

Je soutiens que le pouvoir gagne à enfanter de la bêtise. Le processus est d’autant plus convaincant que la plupart des femmes enfantent déjà de la bêtise dans la façon qu’elles ont de s’imaginer que neuf mois de gestation équivalent à neuf mois de discours prospectifs à propos de ce que devra être l’enfant. On comprendra dès lors qu’une fausse couche, voire un nourrisson morphologiquement inadéquat à toutes ces représentations poussives et non conformes au principe de réalité robuste, peuvent détruire neuf mois de bonheur préfabriqué et être causes de frustrations létales. (K. DEVEUREUX).

Les peuples d’abrutis ne se posent pas les bonnes questions, donc il faut que le pouvoir propose des questions de substitution, et ces nouvelles questions sont établies en fonction des revendications populaires que l’on entend dans les rues. (K. DEVEUREUX).

Les militaires du plan Vigipirate ont tout à fait le droit de répondre par la peur en provoquant la terreur dans le métro d’une façon très simple, c'est-à-dire en devenant eux-mêmes des agents du terrorisme organisé. (K. DEVEUREUX).

Les femmes sont toujours prêtes à quitter le discours féministe si un homme leur promet un carrosse rempli d’enfants avec un cocher passif sur le siège conducteur. (K. DEVEUREUX).

Les femmes se doivent de reprendre en main la non-pertinence de leurs engagements sociaux : moins de cosmétologie et davantage de logique est une première prescription que je fais. (K. DEVEUREUX).

L’engouement populaire pour ces vies labourées en Haïti depuis des années par le tracteur du profit avec le regard inquisiteur de la compassion me donne le cancer des émotions. Est-ce que je remets en cause le bien fondé de ces grossistes politiciens qui n’y voient qu’une stratégie géopolitique ? Oui. (K. BOUACHICHE).

Les organes de presse restent des déchets toxiques dont le recyclage est devenu impossible. (K. BOUACHICHE).

La tragédie haïtienne n’est que la vitrine d’un « baby shop » où le Blanc bien intégré avec une morale à deux sous cherche à adopter un petit Noir pour être raccord avec sa sacoche en cuir. Le fondement de cette déviation est la conception même de l’économie. (K. BOUACHICHE).

Ce séisme en Haïti est un véritable renouveau, une chance à la population locale de se réinventer un système plus juste. Mais nous n’en arriverons pas là parce que les ONG font du business avec la souffrance afin que les pauvres petits Blancs se sentent utiles dans leurs vies si pathétiques et si misérables. Il est facile d’envoyer un message surtaxé pour libérer la conscience de son ignorance. (K. BOUACHICHE).

Durant les camps de la mort, les nazis ont eu cette idée magnifique de recycler les corps des Juifs qu’ils tuaient à la chaîne. L’idée merveilleuse de faire du papier avec de la peau, et du savon avec de la graisse, est prodigieuse d’avant-garde. Ces hommes ont eu le courage d’aller au fond des choses en proposant une véritable pensée inconsciente, c’est-à-dire cette pensée que l’être humain « inférieur » devait servir à la production active de l’homme Blanc. Certains prendront ces propos au premier degré mais je n'en ai que faire. Ne soyons pas dupes : il est obligatoire, dans l'ordre établi des Occidentaux, que les hommes à la couleur de peau sombre doivent mourir par dizaines pour maintenir le train de vie d’un seul homme Blanc. C’est une logique de marché et nous n’y pouvons rien. Ainsi le séisme en Haïti n’est qu’un remède à la crise monétaire mondiale. (K. BOUACHICHE).

Une vision plus proche de notre environnement direct représente la garantie durable d'une réflexion saine et d'un développement social équitable. Je disais hier qu'une tectonique des comportements humains existait, j'affirme aujourd'hui qu'un compostage des vies misérables est nécessaire dans la logique de marché capitaliste. (K. BOUACHICHE).

Placer un séisme au sommet de la hiérarchie des maladies nationales est une stratégie d’épargne. Comme la paupérisation par les circuits économiques est régulière en comparaison des tremblements de terre, on surexploite l’occasion en éclipsant les véritables erreurs morales – on fabrique littéralement plusieurs éclipses médiatiques, étirant le phénomène à son potentiel maximum, c'est-à-dire par la publicité des concerts de charité où l’homme blanc vient davantage pour écouter de la musique que pour se soucier en plein du problème; en outre on attire du monde, me semble-t-il, par des procédés d’attraction plutôt que par des procédés de répulsion, ce qui ne fait que confirmer l’hypocrisie de ces manifestations. (K. DEVEUREUX).

Le Web agrège des communautés d’opinions qui ne tolèrent pas la présence d’opinions contradictoires – le forum recense les éloges d’une star du cinéma et bannit ceux qui s’inscrivent pour remettre en question l’objet d’une pareille adulation; Facebook fragmente le dialogue en présentant des milliers de groupes qui s’invectivent les uns les autres dans l’optique d’une acquisition de reconnaissance virtuelle faute de pouvoir disposer des moyens et de la force nécessaires à la possibilité d’une action réelle; Wikipédia se vante de mettre la connaissance à portée de tous et l’on cache les insuffisances de ce média en nourrissant l’argument simpliste de la culture qui doit être accessible au plus grand nombre. (K. DEVEUREUX).

Les nazis contemporains n’ont pas de cible, ils veulent tout. (K. DEVEUREUX).

J’appelle nazisme auto-normatif une imprégnation de la conscience qui finit par appliquer au monde des volontés non discutées, à savoir des volontés qui exigent des exceptions de la nature pour elles seules. (K. DEVEUREUX).

La liberté, concept si élastique, ne veut rien dire si c’est pour en faire un usage de bohémien. Tout aspirant au voyage ferait donc mieux de savoir voyager en sa rue avant de prétendre conquérir des territoires dont il n’a qu’une idée théorique. (K. DEVEUREUX).

Internet se traduit finalement comme la nouvelle lutte des classes. Un combat pour le pouvoir, seule forme omnipotente de reconnaissance et de revalorisation de soi. Nous avons donc une véritable déperdition dans l’approche constructive du soi. (K. BOUACHICHE).

Aujourd’hui nous existons par l’exposition de nos actes séculiers les plus basiques. (K. BOUACHICHE).

Facebook est un tatouage de nos vies que nous ne pouvons enlever, une aliénation à notre passé comme ces vieux bikers américains qui arborent sur leur avant bras des jeunes filles en bikini, devenues toutes fripées avec l’usure des années. En conséquence de quoi le contrôle de nos évolutions est ainsi engagé. Nous ne pourrons plus nous excuser de nos erreurs passées, nous aurons à jamais une empreinte indélébile de nos vies. Peut-on avoir une idée de la force destructrice de ne pas pouvoir oublier ses actes regrettés ? (K. BOUACHICHE).

Il faut croire qu’une technologie comme internet a décimé le monument de l’homme. (K. DEVEUREUX).

L’adolescent un peu laid s’invente un bikini pour évacuer le petit lait qui se caille. (K. DEVEUREUX).

Internet soulage toutes les volontés pendant que l’intellect subit la jachère. (K. DEVEUREUX).

L’intelligence est pouvoir d’objectivité; constamment menacée par les bassesses du vouloir, l’intelligence s’épuise et finit par se confondre en un cerveau de chien errant. Où l’action n’a plus de valeur dans l’agir car le sujet est déconnecté du monde objectif, ce même sujet, tel le chien qui se promène en poursuivant l’odeur des poubelles, marque des territoires. (K. DEVEUREUX).

À la morale de l’action succède la morale de l’attraction de soi : internet permet à chacun de se prendre pour une entreprise qui a pouvoir de décider qui elle embauche et qui elle licencie. L’attraction de soi n’est que plus effective si un statut Facebook vient faire office de redondance. (K. DEVEUREUX).

Pourquoi ne puis-je parler à un étudiant ? Parce que je sais qu’il ne sait pas, alors je voudrais qu’il le sache et qu’il ne vienne pas me déranger. L’étudiant, en sachant son ignorance, réussira à réanimer son intelligence sous sédatifs. (K. DEVEUREUX).

J’aimerais qu’une hémorragie de neurones emplisse les phallus pour que les saillies soient épistémologiques. J’aimerais que la crasse nullité des femmes se guérisse par des sodomies informatives. Mais cela n’est pas vraiment envisageable. Les femmes s’habillent en vagins disponibles, semblables les unes aux autres, exigeant de certains chefs qu’ils leur fassent signer un contrat longue durée. Mais puis-je vraiment choisir dans le semblable ? On me demande donc de préférer une prostituée à une autre, ce que je ne saurais faire. (K. DEVEUREUX).

Il y a un décalage maladif entre la profusion des actions virtuelles et la rareté des actions effectives. Le seul moyen d’exister dans le dehors, c’est de mourir. Je préconise donc le suicide des avatars. (K. DEVEUREUX).

L’anorexique, dont le corps est moins visible que sa copine éventuellement boulimique, doit encore plus que les autres chercher le spectaculaire de sa fin. Un petit corps, ainsi, doit réfléchir davantage : déjà qu’il est relativement invisible aux yeux de la société hypocrite, il est nécessaire que sa petitesse adopte un moyen de reconnaissance ostensible. Si donc des anorexiques venaient à lire ce message, je leur conseille d’aller se noyer dans les fontaines catholiques où l’on jette des pièces à destination de son intercesseur chérubinique. Non seulement elles feront hommage à Notre-Dame des Douleurs, mais en plus elles gonfleront sous l’effet de la noyade, ce qui leur donnera la consistance qu’elles n’avaient point dans l’existence en même temps que cela épouvantera les âmes. (K. DEVEUREUX).

L’Afrique du Nord est plongée dans une attente coloniale, ainsi elle est plus encline à accepter certains changements de la mondialisation. Alors que l’Europe, ayant déjà atteint une dissolution économique provoquant la perte de repères de ses concitoyens, ceux-là ne trouvent qu’un réconfort dans la pratique d’une religion intégriste. (K. BOUACHICHE).

Pour que l’espace public soit viable à travers un « nous » concret, il est nécessaire que l’État soit libéral au sens plein du terme. (K. DEVEUREUX).

Tout individu doit manifester un moment clé de son existence : la rupture familiale, la défamiliarisation. Cette défamiliarisation peut prendre la forme d’un accouchement douloureux où l’on cherche à recréer de façon plus solide les coutumes familières auxquelles nous avons été habitués. Par conséquent ces coutumes peuvent se révéler plus profondes, plus dangereuses, et finalement plus intégristes. (K. BOUACHICHE).

La curiosité se perd dans les méandres tue-mouches que représente la télévision. (K. BOUACHICHE).

La population d’Amérique du Nord, confrontée à un envahissement publicitaire quasi permanent, s’endort elle-même dans une sorte d’euthanasie collective consentie. (K. DEVEUREUX).

Le cerveau est pervers en ce sens qu’il introjecte des quantités d’images sans que nous puissions deviner son degré de tolérance. De ce point de vue, je dirais qu’une boulimie-anorexie cérébrale remédierait au problème. Autrement dit nous devons apprendre à notre cerveau à se faire vomir, ce qui correspond ni plus ni moins à se faire violence, à refuser l’idéalisme outrecuidant de la publicité, à ne plus croire que la maison familiale est pacifique quand on signe certains contrats de confiance. (K. DEVEUREUX).

Le petit Kévin ne se pose même plus la question de savoir ce qu’est en réalité le Coca-Cola; le Cola, il en consomme comme s’il s’agissait de légumes. Nous assistons donc à la naturalisation de produits artificiels consommables qui deviennent des sortes de concepts immuables. (K. BOUACHICHE).

La télévision est organisée en obédiences religieuses très codifiées, en conséquence de quoi passer de l’une à l’autre chaîne peut entraîner des conséquences aussi graves que l’abandon de son culte. (K. DEVEUREUX).

La télévision se définit comme le meilleur moyen de contraception. Je me demande pourquoi Benoît XVI n’y a pas pensé plus tôt. J’irais même plus loin : la télévision et tout ce qu’elle comporte rend stérile tout individu qui s’y perd. Maintenant l’écran de télé ou d’ordinateur est devenu le seul moyen de communication viable entre individus, provoquant ainsi la perversité poussive d’être visible et invisible simultanément. Nous ne pouvons nous affirmer ni nous accomplir dans un monde virtuel. Néanmoins le monde réel tend à disparaître par l’élargissement des moyens technologiques de communication. (K. BOUACHICHE).

Il ne faut pas s’étonner que la culture française se sclérose lorsque celle-ci est menée par des élites douteuses dont l’incapacité à sortir de son rang est plus que grandissante. Il est aisé chez ces gens de colporter quelques préjugés que leur milieu ressasse sans arrêt. (K. BOUACHICHE).

Intégrer une école telle que l’ENS est déjà en soi un aveu de stérilité littéraire. S’il existe une France de l’assistanat, elle se trouve bien ici. (K. BOUACHICHE).

Il est évidemment délétère de croire qu’une littérature est en gestation dans des milieux où l’ensemencement est réalisé in vitro. Il résulte de ces schématisations une psychologie de l’oie, et il est malheureux de penser que les oies d’aujourd’hui sauveront Paris comme celles d’hier ont sauvé Rome. (K. DEVEUREUX).

Plus un pays compte un passé riche, plus il est difficile de s’en arracher et de prolonger de façon novatrice sa pensée. Lorsque nous sommes trop vieux, notre vision se raccourcit et nous ne sommes plus capables de reconnaître dans des zones qui ne nous sont pas familières des êtres à la destinée prometteuse. Il est rassurant, donc, pour un pays comme la France, de compter sur ce rouage immuable qu’est l’Éducation Nationale. (K. BOUACHICHE).

Il serait sociologiquement et philosophiquement intéressant de voir des hordes ensauvagées pénétrer dans les lieux communs du savoir afin de le bousculer. Le savoir universitaire manque cruellement de mouvement en ce sens qu’il se repose. Appelons alors au viol des Universités ne serait-ce que parce que l’Université est de moins en moins excitante. (K. DEVEUREUX).

Les Grandes Écoles ont ce défaut de se cloisonner sur elles-mêmes, et les Universités ont ce défaut de croire que les Grandes Écoles leur sont supérieures, et donc les Universités ont une tendance à se cloisonner dans cette intuition de l’excellence qui se protège de toute intégration surprise. (K. DEVEUREUX).

Jeff Koons veut, à travers son œuvre, rendre l’art accessible à tous. Mais cela ne galvaude-t-il pas l’essence même de l’art ? À savoir que transcrire le quotidien avec recul tout en étant enchaîné à ce quotidien serait cette essence. Je m’oppose fermement à la thèse de monsieur Jeff K. et j’affirme que la pratique plastique doit s’inscrire non pas dans une simplicité de l’œuvre mais dans un côté ludique de l’œuvre. (K. BOUACHICHE).

Je défends l’art contemporain vis-à-vis de son affranchissement du figuratif d’une part, et d’autre part vis-à-vis de sa faculté à exprimer du dialogue là où l’on ne paraît voir en premier lieu que le monologue d’un artiste égocentrique. L’art contemporain, à mon humble avis, collabore avec le public en ce sens qu’il ne revendique aucun réquisit, aucune trajectoire idéologique, et certainement aucune manière de bien voir ce qu’il faudrait effectivement y voir. (K. DEVEUREUX).

L’art, comme la philosophie, ne peut pas être pris à la légère. Un minimum d’investissement est requis. (K. BOUACHICHE).

L’aspect pragmatique de l’art annonce une réhabilitation de la prosopopée non plus comme figure de style mais comme exercice ludique. (K. DEVEUREUX).

L’état des toilettes des musées, propres et dépourvues de tout graffiti et d’expression corporelle, justifie que le système institutionnel en place a définitivement gagné sur l’expression des artistes, et de surcroît sur celle du public. (K. BOUACHICHE).
Les rencontres sexuelles ne sont plus un moment de partage, d’échange, de plaisir mutuel, elles sont plutôt un karaoké de films pornographiques. On change sans cesse de position sans même comprendre ce qu’on fait. Il s’agit là d’une prestation artistique de patinage sexuel, avec ses figures imposées, sa suite de petits pas et ses notes à la fin du parcours. (K. BOUACHICHE).

Il n’est pas à exclure que dans un futur proche nous ayons à recourir à des lieux de restauration sexuelle. (K. BOUACHICHE).

On ne fait plus l’amour, on se masturbe à deux dans une incompréhension réciproque. (K. BOUACHICHE).

En agrandissant les espaces sensiblement destinés à inventer de l’occasion sexuelle, on diminue à la fois la compréhension du concept sexuel ainsi que le temps de faire proprement du sexe. C'est-à-dire que nous agissons en fonction d’une essence sexuelle qui assassine l’existence de l’acte en tant que geste qui se construit sans référence. (K. DEVEUREUX).

Il n’y a pas d’amants faibles, il n’y a que des femmes machines. (K. DEVEUREUX).

Plus un féminisme est fort, plus l’homosexualité est latente. (K. BOUACHICHE).

J’entends par l’homme machine un individu qui augmente son étendue matérielle en divisant continuellement sa substance cognitive. (K. DEVEUREUX).

Récupérer de l’éthique religieuse dans le sexe, je ne vois que cela pour rattraper le sexe de son nouveau testament consommateur, tout comme je ne vois que cela pour archiver la religion à travers une réévaluation d’ordre corporel. (K. DEVEUREUX).

La résurrection culturelle passe à mon avis par une évidente traversée des nécropoles. (K. DEVEUREUX).

samedi 24 juillet 2010

Chimiothérapie de Twitter.


Notre enquête sur les cancers indolores se poursuit. Après avoir exploré l’âme gangrénée du réseau Facebook, nous investissons le corps de Twitter. Nous rappelons qu’un cancer non douloureux n’est pas moins mortel que les autres; il l’est même davantage puisque la mort est pratiquement invisible et durable dans ce cas précis. Nous sommes donc convaincus que l’implosion de ces réseaux provoquera une vague de suicides sans précédent. Ceux qui se prémunissent d’agir en faisant semblant d’être actifs sur l’immatérialité des réseaux sont ceux qui verront leur vacuité en premier une fois que toute cette mascarade aura pris fin. Partant de ce principe, notre participation n’aura rien d’assidu; elle constituera la base vérificationnelle de tout ce que nous essayons de dire depuis maintenant plusieurs mois. La santé cérébrale passe inévitablement par un retour dans le monde. Il faut empêcher que l’extension de la bêtise surpasse l’extension de l’univers, sans quoi le contenant matriciel finira par vomir ses contenances. Cela étant dit, on peut nous consulter sur Twitter via KKBouaDev.

mardi 20 juillet 2010

Conversations (6) : mademoiselle Montréal chante le blues.


K. Bouachiche : Notre visite à Montréal se termine et la mélancolie me prend le cœur. Une ville charmante qui nous séduit rapidement et qui nous laisse imaginer plein d’histoires folles et extravagantes. Cependant une chose m’accable. La promotion d’une certaine forme de culture de masse m’exaspère au plus haut point. Un système diabolique reste bien implanté sur les terres nord-américaines. Ce processus se définit par l’alliage de deux cultures : la culture du cinéma d’action et la culture de la nourriture prédigérée. À Montréal, un film comme celui Christopher N. n’a de fonction que de maintenir la population dans un marasme culturel afin de vendre une alimentation dénuée de tout sens gustatif. Il est donc normal de retrouver en centre-ville, sur Sainte-Catherine par exemple, une armada de filles-minishorts et de garçons-tongs qui se définissent eux-mêmes comme produits de consommation. Durant mon séjour ici, je n’ai trouvé aucun lieu qui permet la curiosité, la découverte du cultures différentes, d’identité propre, bref d’échanges, à part peut-être ce petit restaurant antillais dont je tairai le nom pour la simple et bonne raison qu’un lieu pareil se doit d’être trouvé. En somme je suis heureux de retourner dans une ville métissée, haute en couleurs, où la curiosité n’a de cesse de se renouveler à chaque instant.


K. Deveureux : Mon premier souvenir attaché à Montréal repose sur l’expérience du deuil puisque j’y suis venu l’an dernier pour accompagner dans la mort un ami professeur. J’y suis revenu sporadiquement pour résoudre des affaires, m’occuper des biens culturels et matériels de ce monsieur, et j’ai fini par m’en accommoder, tant et si bien que j’ai loué un appartement dans un arrondissement peu fréquenté, me laissant alors la libre initiative de revenir quand bon me semblait. Votre venue, ou votre survenue, a été l’occasion de réfléchir à un certain nombre de sujets que nous avons récemment discutés, que ce soit immédiatement en rapport avec Montréal ou alors de façon tout à fait indirecte. Mon adhérence à vos conclusions est sérieuse, quoique je doive limiter le rapport accablant que vous faites sur la curiosité, encore que je veuille moins le critiquer qu’en souligner un paradoxe étonnant. Il est sûr que ce bistrot antillais est une pure merveille, situé sur Saint-Denis, ce qui est en soi comparable à la situation d’une verrue sur la peau parfaite d’une actrice de cinéma. La verrue, sur Saint-Denis, n’a rien à faire, et pourtant elle s’est développée, elle a grossi, et elle a même pris confiance. Si l’on peut ainsi consommer des nourritures fameuses et des alcools inventifs dans cette taverne d’outre-mer, on peut encore dénicher sur Saint-Denis des caves de culture comme cette petite librairie indépendante où je suis passé distiller quelques ouvrages. Si j’ai repéré les formes généreuses de la libraire, j’ai aussi noté sa compétence, et je fis preuve d’une attention de contenance en donnant à ce lieu des références européennes qui ne sont pas sans rapport avec les domaines que feu mon ami étudiait, ni même avec ceux desquels j’ai été le familier. C’est pour moi l’antidote de Montréal que sa faculté d’introduire des verrues dans les espaces trop perfectionnées où une chirurgie esthétique se dispute avec une résistance intrinsèque. Cet affrontement silencieux entre l’ostensible et le didactique me réjouit, et il ne faut guère mentir en disant qu’un nouvel alliage nous permet facilement de mettre une fille-minishort dans notre lit, à savoir le cumul des mandats : sortons habillés comme de riches professeurs et faisons preuve d’un charme poétique pour agrémenter notre vieillesse de la naïveté juvénile. Mais que voulez-vous ? C’est l’époque qui veut ça, alors je serais heureux que les jeunes filles en mal de père sortent de Saint-Denis en ayant non seulement un cavalier mais aussi la possibilité que le cavalier en question soit un enseignant de toutes les choses de la vie.


K. Bouachiche : L’architecture d’une ville est propice au développement, ou non, de sa population. Montréal, malgré un tracé très clair, manque toutefois de limpidité. Il est évident que le paradoxe que vous évoquez à travers ces lieux n’est que le résultat d’une jonction entre deux langues : le français québécois et l’anglais nord-américain. Difficile alors de se positionner sur l’un ou l’autre. On essaye constamment de faire des compromis, ce qui implique, à bas-échelle, une certaine mixité. Je connais cette ville que de façon éphémère, refusant toujours d’y résider. Le tracé très géométrique du cadastre engendre automatiquement un comportement ordonné, rangé, ce qui évince tout débordement. Or la vie ne m’intéresse que pour ses débordements, ses surplus. La sociologie n’a de sens que dans le décadrage comportemental. C’est ainsi qu’on peut analyser plus facilement les phénomènes, en extraire des conclusions, et en retirer des réflexions. Je ne trouve donc pas normal que l’on soit obligé de faire la queue pour attendre un bus. Bien sûr ce sont mes origines nord-africaines qui s’expriment ici, ma culture étant très désorientée par l’ancien colonialisme français. J’ai toutefois ressenti un certain militantisme naissant mais qui par dualisme culturel n’arrive pas à s’imposer. Je le regrette.


K. Deveureux : Il serait patent de citer la situation d’adolescence historique du Canada, sans compter que le Québec fait office d’excroissance particulière, générant de fait des possibilités de militantisme qui ne seraient pas réellement possibles en dehors de la province francophone. Malheureusement les stratégies de résistance sont en train de s’écarter du dualisme culturel qui concerne le français et l’anglais alors que, bien au contraire, je pense qu’il vaut mieux préserver le dualisme culturel car chercher à le dépasser risquerait d’absorber l’adversaire le plus faible. En tant que professeur des Universités, je suis très sensible aux programmes de l’enseignement supérieur, et j’ai plusieurs collègues de Montréal qui me tiennent au courant. La situation sociologique de la ville m’intéresse moins, vous le savez, c’est pourquoi je répète sans cesse que la philosophie a déjà gagné si elle s’impose comme un enseignement incontournable de l’Université. Militer pour une philo-thérapie ou pour une philosophie qui se voudrait accessible sans se lire ne sont que des intentions catastrophiques qui, au fond, ne réunissent que des étudiants de philosophie dans des cafés bruyants. Autrement dit je n’ai d’intérêt que pour l’organisation du monde universitaire cependant que vous affectionnez l’organisation spatiale des phénomènes sociologiques. Aussi, dans la sphère universitaire, je repère une économie des savoirs vicieuse qui se rapproche complètement de vos constatations. La dualité demeure vivace dans les universités francophones, particulièrement à l’UQÀM où les programmes tournent autour d’œuvres anglophones – les enseignements du baccalauréat étant à mon goût trop vulnérables car les professeurs de philosophie continentale ne sont pas nombreux. Il faudrait alors que les directeurs des programmes procèdent à un rééquilibrage des savoirs, quitte à sacrifier des thèmes analytiques en les soumettant aux choix des étudiants. J’entends par là qu’il serait bon de rendre optionnel le continental et l’analytique après un ou deux ans de baccalauréat. À mon avis, le choix des étudiants ne condamnerait ni l’un ni l’autre de ces aspects de la philosophie, il ne ferait qu’en souligner plusieurs désirs de se spécialiser, ce qui n’est pas exagéré une fois qu’on parvient au milieu de ses études. Selon mes collègues, et selon ce que j’ai pu relever également, trop d’étudiants nord-américains n’ont pas lu les œuvres majeures de la philosophie, se contentant de commentateurs ou de profilages épistémiques, chose inacceptable bien qu’en voie de correction. Dans les deux cas de figure, par exemple, on devrait être capable de parler de Descartes autrement que par l’intermédiaire du doute méthodique, tout comme on devrait être capable de parler de Carnap autrement que par la théorie fourre-tout des classes. Ceci augmenterait la crédibilité des professeurs du secondaire car je sais pertinemment que l’état de la philosophie dans les CÉGEP est proche de la maladie. Je ne demande donc pas à ce que l’on refasse le cadastre des programmes philosophiques en y insérant des cul-de-sac et autres diverticules, je demande à ce qu’on y rénove le macadam des premières lignes droites puis qu’on y insère deux bifurcations claires et distinctes.


K. Bouachiche : Je dirais donc que Montréal ressemble à un catalogue. Les cultures se côtoient page après page, parfois se chevauchent, mais ne se mélangent jamais. Montréal a certes une culture, cela est indéniable, néanmoins cette culture se définit par un référencement de toutes les cultures, à l’image d’un entomologiste qui collectionne les insectes tout en les classant. Il n’y a donc pas de digestion de la culture, mais cela est normal puisque nous sommes sur un continent adolescent tel que vous le disiez tout à l’heure. Il n’y a donc pas suffisamment d’ancienneté pour un véritable brassage de mœurs et de coutumes. Cette ville est par conséquent en équilibre perpétuel; elle est marquée par une volonté de basculement culturel tout en ne possédant pas assez de maturité pour assumer ce basculement. Tout est alors encore possible. Si l’on regarde le film québécois de Xavier D., jeune réalisateur de son état, on comprend parfaitement ce paradoxe. Il y a dans Les Amours Imaginaires toute l’ambivalence de Montréal. D’un côté la culture québécoise menée par Francis, de l’autre la culture canadienne menée par Marie, tous les deux s’éprenant d’un Jésus Christ de la non-culture. Ces amours fictives et furtives sont bien la preuve que Montréal attend encore le messie.


K. Deveureux : La terre de Montréal serait alors aussi bien fertile que sainte, ce à quoi je donne mon aval puisque la natalité y est omniprésente en même temps que le règne de l’enfant-roi qui ralentit plusieurs carrières. Le film de Dolan imite quelques traits européens en espérant synthétiser la dualité de Francis et Marie dans le personnage répugnant de Nicolas. Le problème étant que Nicolas est asexué, repoussant Francis de la plus minable des façons, rejetant Marie par snobisme intellectuel suranné. S’ensuit une magnifique reprise des négociations qui stipule l’éviction de Nicolas à travers le recommencement d’une dualité qui ne peut faire autrement que de se dire et se dédire. Tout Montréal est là : on bascule sans tomber, on aime le vertige des attractions de La Ronde, on apprécie cette ambiance métastable où la robustesse des phénomènes dissimule un grouillement beaucoup moins orthodoxe. J’ai donc cette impression que Montréal, derrière et en-dessous de ses buildings, est faite d’un terreau christique qui attend d’être semé d’autres graines. Il faut se rendre au cimetière Côte des Neiges pour commencer à faire un détour, faute de quadrillage. Ainsi la résurrection culturelle passe à mon avis par une évidente traversée des nécropoles.


K. Bouachiche : Une naissance de la culture est ainsi nécessaire. Il faut savoir enterrer les cadavres historiques afin que ceux-ci servent de fumier à la future plante qui saura s’épanouir. Cette plante ne contiendra ni le sang bleu du Québec, ni le sang rouge du Canada, mais plutôt un sang blanc demandant une inscription de couleur. Le messie ne viendra pas, il ne faut compter que sur sa propre capacité de se réinventer. Montréal est donc une page blanche, libre, détachée de tout préjugé; il n’y a plus qu’à remplir cette jolie feuille de dessins humoristiques, cyniques, militants et de strophes imaginatives, sensibles, désordonnées. Montréal sera alors une capitale culturelle si elle arrive à repenser son cadastre. Je prédis un bel avenir à ses citoyens qui verront naître incessamment sous peu de grands penseurs. Ces derniers commencent en revanche à être visibles. Leur apparition est difficile car l’expression choisie est peu commune, elle prête souvent à rire. Il s’agit là du Festival Juste Pour Rire. Les humoristes seront donc la dynamo d’une prochaine révolution culturelle.


K. Deveureux : Je sais, mon cher Bouachiche, que vous partez de ce principe que l’Université est dépassée, que les penseurs de l’avenir seront cultivés dans les rues. Je suis d’accord à ceci près qu’il me semble fondamental que l’Université ne fasse que jouer son rôle, à savoir son rôle de diffusion d’une connaissance universelle. Le décalage de la rue et de l’élite est probablement dû au fait que l’Université a maladroitement tenté d’investir le domaine public sans nécessairement penser à autre chose que sa propre publicité. On sait qu’en démocratie participative ceux qui s’expriment dans les réunions publiques sont ceux qui sont très souvent les plus diplômés, les autres n’osant pas prendre la parole. Vous connaissez d’ailleurs mon esprit métaphysique qui ne peut pas accorder à la théorie du mélange une quelconque vérité dans la mesure où j’ai la conviction que mélanger revient uniquement à faire prédominer une saveur sur une autre. On a bien essayé de me faire aller à la campagne lorsque je travaillais à l’École Normale, on sait comment cela s’est terminé. L’Université fait erreur en allant quémander de la reconnaissance. Elle ne redeviendra Université que lorsqu’elle aura donné aux différents publics des raisons nécessaires et suffisantes de la fréquenter. Montréal réussit passablement cette prouesse en proposant des cours nocturnes. Mon intime conviction est que les habitants de l’Université construiront de la pensée quand ils seront dans la disposition de penser à autre chose que l’Université en réintégrant la rue. L’idée du maître et de ses disciples est trop tangible lors des manifestations publiques où l’on patiente pour une conférence ou pour un café de philosophie – que je déteste par-dessus tout. En d’autres termes, on ne réussira de la pensée urbaine qu’en abandonnant la dialectique de la dissertation au profit d’une pensée active. Je veux signifier par l’activité de la pensée quelque chose qui ne relève pas nécessairement des livres mais qui correspondrait plutôt à une performance artistique. On peut faire connaître Socrate en déambulant sur Sainte-Catherine en toge, suivi d’un copain déguisé en Simmias, d’un autre en Phédon, et encore d’un autre en Criton.


K. Bouachiche : Vous avez raison, cher collègue, de rappeler une de mes croyances fondamentales qui est celle de penser qu’une guerre des cultures ne pourra passer que par la rue. En me retirant de l’enseignement, c’est le regard condescendant du savoir que je récuse. L’Université peut être le théâtre d’un renouveau si elle n’écoute pas les faits de population. Je prône donc une culture plus qu’urbaine, je prône un savoir des égouts. Il est temps de faire remonter la fange que l’on a depuis tant d’années ensevelie à l’instar du compost. La destruction organique est source de vie et de savoir. Cher collègue, je vous conseille alors de vous asseoir sur un banc et d’écouter ce qui se passe autour de vous. Certes vous n’entendrez que des discussions stériles sur la maternité, l’éducation des enfants, les problèmes de couple, mais au-delà de ça, cela vous permettra de comprendre comment répandre votre savoir si universitaire. C’est la raison pour laquelle choisir les humoristes comme vecteur potentiel du savoir s’avère être une position plus que payante. Les humoristes ont la faculté de vous faire avaler n’importe quel discours sans que vous ne puissiez en débattre. Il faut donc savoir utiliser des armes qui n’en ont pas l’air pour pouvoir éventuellement guerroyer. Je ne considère pas que l’Université doive descendre dans la rue, je pense par contre que celle-ci doit s’inspirer des codes urbains pour pouvoir enseigner. Je n’utiliserai pas le déguisement de la toge pour parler de Socrate mais plutôt une imitation vocale de Socrate, permettant ainsi de diffuser son discours à un plus large public. De la sorte, si je vois une nouvelle Agora, c’est celle du marché couvert à Jean-Talon.

lundi 12 juillet 2010

Conversations (5) : tropismes sexuels.


K. Deveureux : Un sujet tel que celui du sexe est susceptible d’offenser parce que son universalité ne se restitue pas dans les pratiques. Depuis l’émergence de la téléréalité, on nous abreuve de signes sexuels, d’images tendancieuses qui laissent deviner l’intimité qui ne tient plus dans son confinement, toutes sortes de choses qui constituent une narration faussée des réalités de l’acte. Ma thèse est que la présence omnipotente du sexe est inversement proportionnelle à la présence même du sexe dans le couple. En d’autres termes, il y a moins de pratique depuis environ une à deux décennies. J’appuie cette thèse en accusant la prolifération du divertissement. Puisque les gens vivent une existence difficile, on accumule les petits divertissements, ce qui contribue à la perte d’énergie sexuelle dans l’emploi du temps du couple. Les gens qui vivent sous le même toit sont d’autant plus victimes de ces vices ludiques qu’ils multiplient par deux le coefficient d’existence difficile. Alors on procède à un inventaire des idées du sexe plus qu’on ne les applique.


K. Bouachiche : Je ne sais pas si effectivement les pratiques sexuelles sont en baisse, néanmoins je pense qu’elles reposent davantage sur la représentativité. À l’heure où l’apparence, les codes sociaux, les mœurs sont bien définis et bien caractérisés, on utilise le sexe non plus par plaisir mais par devoir. Les rencontres sexuelles ne sont plus un moment de partage, d’échange, de plaisir mutuel, elles sont plutôt un karaoké de films pornographiques. On change sans cesse de position sans même comprendre ce qu’on fait. Il s’agit là d’une prestation artistique de patinage sexuel, avec ses figures imposées, sa suite de petits pas et ses notes à la fin du parcours. Je dirais donc qu’on conceptualise l’idée même du sexe, laquelle doit normalement se définir dans un domaine bassement corporel. En cela je dénonce fermement la filmographie de madame Catherine B. Il n’est pas à exclure que dans un futur proche nous ayons à recourir à des lieux de restauration sexuelle.


K. Deveureux : J’avais induit que la nouvelle nature nécessaire du sexe ne faisait que procéder à un désenchantement de la spontanéité, en quoi j’avais attaqué les émissions d’apprentissage ou de confession où, respectivement, l’on répond à des question et l’on fabrique des énoncés infalsifiables sur le sexe. Au sommet de cette base désormais implantée, on repère la notion de performance, tout à fait explicite dans votre métaphore du patinage artistique. Les exigences en matière de sexe créent de la peur. Les magazines féminins et surtout féministes instituent des hydres que seuls des Hercules pourraient satisfaire. La femme moderne est dans l’expectative d’un orgasme expurgé de tout échec. La réclamation perpétuelle d’un supplément organique et sexuel détruit la base primitive d’un acte essentiellement irréfléchi. La représentation, en précédant l’acte sexuel, introduit dans le futur du sexe un présent de recomposition mécanique qui asservit le sexe à des machines et des rouages. Les ouvriers pénètrent dans l’usine, font leur travail, et il en ressort des objets consommables. Rapportée au sexe, cette image indique que l’on s’aventure dans l’acte afin de produire des orgasmes qui seront ensuite débattus du point de vue quantitatif et qualitatif, en tant que marchandises à vendre.


K. Bouachiche : Tout est là cher confrère. On consomme sexuellement autrui. Le partenaire sexuel se définit donc comme un objet d’aide à la masturbation. On ne fait plus l’amour, on se masturbe à deux dans une incompréhension réciproque. Je soumets l’idée d’une sexualité solidaire, équitable, qui prône la curiosité de l’autre, l’envie de séduire l’autre, de sentir le désir monter en lui. Il faut savoir donner pour pouvoir recevoir. Les conséquences directes d’une telle pratique monomaniaque sont dangereuses car elles induisent une notion de frustration. Nous usons d’un plaisir artificiel qui, à un moment de rupture, devra s’accomplir réellement. Cet accomplissement peut se faire malheureusement par le viol. Le sexe peut se concevoir également comme soupape de la vie sociale que vous définissiez plus haut en tant que vie difficile. Nous ne pouvons résolument pas ignorer cet aspect sociologique. La solution, quelle est-elle ? Je l’ignore, bien entendu, même si je suis fermement convaincu que l’absence de lieux propices à la rencontre est un facteur décisif dans la conception même de la sexualité moderne. La prostitution doit être reconnue comme métier à part entière. Nous avons à lui donner une visibilité sociale. Elle doit donc être encadrée, gérée par les politiques, et naturalisée de surcroît. Outre cela, je ne voulais pas forcément parler de maisons closes qui là encore rendraient le sexe consommable, je voulais mettre l’accent sur des lieux véritables où la rencontre ne serait pas provoquée mais plutôt spontanée – je réfère ici aux bals d’époque par exemple. Ce n’est pas tant qu’on manquerait d’espaces de rencontre où une spontanéité pourrait surgir, c’est que nous multiplions au contraire des sites référencés et codifiés dont la seule fonction est de provoquer la rencontre. Comment alors éprouver du plaisir dans un cadre limité et prédéfini ?


K. Deveureux : En agrandissant les espaces sensiblement destinés à inventer de l’occasion sexuelle, on diminue à la fois la compréhension du concept sexuel ainsi que le temps de faire proprement du sexe. C'est-à-dire que nous agissons en fonction d’une essence sexuelle qui assassine l’existence de l’acte en tant que geste qui se construit sans référence. Le versant unilatéral d’un désir qui cherche à se consommer en consumant l’autre me rappelle l’exemple du cyclope que j’utilisais en abordant le thème de l’égoïste relationnel. Pour que le cyclope se donne une chance d’avoir une relation, il est nécessaire qu’il reçoive une flèche empoisonnée dans l’œil afin que celui-ci se divise, formant ainsi un regard. Les hommes et femmes qui se comportent comme des partenaires intransitifs sont objectivement des cyclopes qu’il faut tromper. Sous la stratégie consumériste, je demande une stratégie de positionnement qui réhabiliterait les bienfaits du marivaudage, voire les craintes et les tremblements du romantique. Dans l’idéal, l’amant moderne devrait essayer de quitter le costume d’Hercule pour choisir celui d’Ulysse. Sans aller jusqu’à espérer la patience d’une Pénélope en chaque femme, j’aimerais qu’on atteste de cette possibilité et que, en bout de ligne, toutes les rencontres soient réalisées non pas dans l’optique de la représentation mais dans l’optique d’une projection continuée. On atteindra cette continuité de préservation seulement quand on aura résolu le problème du sexe comme représentation. Autrement dit, apprenons à vaincre la tyrannie de l’orgasme en reconnaissant la possibilité de recommencer la procédure. Il n’y a pas d’amants faibles, il n’y a que des femmes machines.


K. Bouachiche : Vous m’obligez, cher ami, à m’interroger sur la place des femmes au sein d’une relation sexuelle ou amoureuse. Selon vous, les femmes seraient alors trop exigeantes quant à leurs désirs amoureux, établissant ainsi une tyrannie de l’orgasme. Toutefois il y a une notion que l’homme ne peut prendre en compte dans une relation, je parle évidemment du sacrifice. Une femme est plus encline à se sacrifier pour le bien du couple. La simulation, je vous l’accorde, est parfois nécessaire. Il est étonnant, lorsqu’on s’intéresse au milieu carcéral, d’établir une proportionnelle entre les visiteurs féminins et les visiteurs masculins. Je discutais il y a peu avec un monsieur italien dont la femme est incarcérée depuis près d’un an. Ce monsieur me confiait sur un ton solennel qu’il n’attendrait pas son épouse si celle-ci était condamnée à plus de cinq ans alors que, parallèlement, j’ai observé des femmes capables de s’annihiler à la vie de leur compagnon incarcéré pendant presque dix ans. Je parlerais donc d’une lâcheté masculine dans une sexualité jusqu’ici à dominante misogyne. Il est manifeste que cette sexualité déséquilibrée à tendance à se réajuster. Je dirais même que nous sommes en passe d’inverser le processus, provoquant de ce fait une soumission de l’homme. Cela n’est pas insignifiant; on observe actuellement un questionnement de l’homme moderne sur son identité sexuelle propre. Ainsi plus un féminisme est fort, plus l’homosexualité est latente.


K. Deveureux : Sans contredit, l’oligarchie féministe instaure une démocratisation silencieuse de l’homosexualité, particulièrement au Québec où nous sommes présentement en observation et en vacances. Les femmes du Québec doivent être excessivement attentives à ces dérives, devant s’attendre à tout moment à ce que leur mari quitte les latitudes de l’hétérosexualité. L’homme est suffisamment une machine en milieu professionnel pour qu’on exige encore de lui qu’il soit un pénis automatique. En revanche je reconnais au féminisme le droit de critiquer les hommes qui étaient déjà des genres de machines avant l’accroissement des thèses féministes, ces dernières étant défendues avec une belle rigueur scientifique par Judith Butler. J’entends par l’homme machine un individu qui augmente son étendue matérielle en divisant continuellement sa substance cognitive. Ce n’est pas son âme qui pilote son corps, c’est son corps qui pilote son pénis, le pénis étant dans ces conditions une excroissance d’identité – l’homme machine appréciant de nommer son phallus. Les femmes qui subissent les assauts de ces partenaires sont tout à fait exonérées d’être devenues des féministes belliqueuses, et je pense que l’assassin de Polytechnique à l’Université de Montréal n’a été que le précurseur visible d’une éthique de la déraison sexuelle contemporaine du point de vue masculin. Lors de mes relations intimes, j’ai noté l’étonnement des femmes cependant que je faisais acte de retrait. Mon incapacité à me soulager dans le corps de ma partenaire est due à ce sentiment que je souillerais la femme si je lui administrais une substance génératrice sans intention de procréer. En me retirant, je fais office de cénobitisme : je participe à la relation réciproque sans donner cette impression que je m’étale. Si j’étais dans le monachisme, je pratiquerais l’onanisme hypocrite, et si j’étais dans l’anachorétisme, je ne serais pas crédible. Par conséquent, et bien que je déplore les avancées démesurées du féminisme, j’accorde aux femmes fortes cette répulsion des hommes qui pratiquent soit un monachisme de surface qui ne vise qu’une fin complétive, soit un anachorétisme maladif qui compresse le désir dangereusement, et j’appelle finalement à une pratique du cénobitisme dans laquelle on intègrerait le sexe. Récupérer de l’éthique religieuse dans le sexe, je ne vois que cela pour rattraper le sexe de son nouveau testament consommateur, tout comme je ne vois que cela pour archiver la religion à travers une réévaluation d’ordre corporel.

jeudi 8 juillet 2010

Conversations (4) : musée IN, musée OUT.


K. Bouachiche : Il est temps de s’interroger sur le concept fort abstrait de l’art contemporain. Alors pourquoi avoir choisi cette thématique ? Je dirais que celle-ci est la plus encline aux préjugés; en effet chaque citoyen lambda a au moins mis une fois les pieds dans un temple de la culture plastique. Si on questionne à la sortie ces familles qui souhaitent ouvrir certains horizons à leurs enfants, les réactions sont souvent les mêmes. « Je n’ai pas compris grand-chose néanmoins il y avait de belles choses ». L’art se conçoit ainsi, il doit être pratique, esthétique et simple de compréhension. Jeff Koons veut, à travers son œuvre, rendre l’art accessible à tous. Mais cela ne galvaude-t-il pas l’essence même de l’art ? À savoir que transcrire le quotidien avec recul tout en étant enchaîné à ce quotidien serait cette essence. Je m’oppose fermement à la thèse de monsieur Jeff K. et j’affirme que la pratique plastique doit s’inscrire non pas dans une simplicité de l’œuvre mais dans un côté ludique de l’œuvre.


K. Deveureux : Si l’on suit l’esprit de progrès qui a dégénéré dans les techniques fascisantes depuis environ un siècle, on relève le désir plus ou moins universel d’atteindre à un consensus, à une efficacité dans tous les domaines. Je dois être aussi performant comme artiste que je suis supposé l’être comme politicien. Or cette idée du Beau hégémonique (ou de simplicité qui présuppose un acquiescement généralisé) ne date pas d’hier puisqu’elle est théoriquement ensevelie. L’époque moderne de Descartes a souffert d’un esprit géométrique où l’on a commencé à définir l’esthétique comme une pratique du trait clair et distinct, ce qui a considérablement alimenté la vague figurative en plus de « simplifier » à grands coups de serpe les sujets traités. Ne pouvaient être beaux, en définitive, que les sujets les plus visibles, les moins polémiques, et fatalement les plus inintéressants étant donné qu’ils n’apportaient pas de discussions. Je défends par conséquent l’art contemporain vis-à-vis de son affranchissement du figuratif d’une part, et d’autre part vis-à-vis de sa faculté à exprimer du dialogue là où l’on ne paraît voir en premier lieu que le monologue d’un artiste égocentrique. L’art contemporain, à mon humble avis, collabore avec le public en ce sens qu’il ne revendique aucun réquisit, aucune trajectoire idéologique, et certainement aucune manière de bien voir ce qu’il faudrait effectivement y voir.


K. Bouachiche : Il est donc primordial de prendre en considération l’immédiateté de l’œuvre. La lecture d’un travail plastique ne peut se faire sans un nivellement. L’approche d’une installation unique de l’artiste exposée dans un musée n’est que le premier pas dans la compréhension de celle-ci. Le second étant de replacer cette installation unique dans la démarche globale de l’artiste. Apprécier l’art c’est donc faire l’effort d’aller au-delà du visible et de toucher à l’intelligible. Les préjugés naissent donc de cette incapacité à franchir le premier seuil de la perception perceptible. Ceux qui croient que faire appel à un guide pour pouvoir justement approcher la réflexion de l’artiste se corrompent dans une facilité stérile. Il faut impérativement construire soi-même le discours d’une œuvre par des recherches personnelles et non préfabriquées. On peut jouir de l’art seulement après avoir franchi les différentes étapes. Ce franchissement est accompagné généralement d’un enrichissement et d’une évolution de sa propre pensée. L’art, comme la philosophie, ne peut pas être pris à la légère. Un minimum d’investissement est requis.


K. Deveureux : Ce que vous avancez sur les musées rejoint les idées prudemment diffusées par Nelson Goodman alors même qu’il s’exprimait devant un public de conservateurs d’art. Le musée fonctionne comme archivage, or les œuvres contemporaines sont inaliénables, précisément parce qu’elles induisent des porosités à l’intérieur du sujet traité. D’où le caractère itinérant des expositions contemporaines, incomparables aux collections perpétuelles que les grands musées brandissent comme arguments de visite. Préjuger de l’art contemporain reviendrait presque à une volonté de boucher ces porosités, toutes ces ouvertures qui contrarient la notion de frontière, de genre et de codification. Je serais alors plus favorable à une exposition non institutionnelle de l’art contemporain. Le musée, par l’étagement de ses bâtiments et la rectitude de ses couloirs, induit une classification des œuvres indirecte qui donne l’impression au public d’apercevoir d’abord le moins pertinent et de finir ensuite par le plus évidemment qualitatif. Dans cette perspective, je serais pour un réaménagement des musées où l’on multiplierait les entrées et les sorties et où le public tirerait au sort sa porte d’entrée parmi tant d’autres. À l’évidence, ceci ne peut être accompli qu’avec le concours des ingénieurs en architecture, lesquels doivent posséder une solide fibre artistique s’ils ont à charge de réfléchir à l’organisation spatiale d’un musée d’art contemporain. Or je ne connais pas spécifiquement de musée moderne qui sache reformuler sans cesse son espace, sinon Beaubourg, quoique ce dernier le fasse pour des raisons ostensibles avant que de le faire pour des raisons d’essence des œuvres d’art. Généralement parlant, donc, je suis pour une collaboration à entrées multiples, où l’artiste est indifférencié du public, de l’architecte, du conservateur etc. En cela je soutiens les thèses de R.G. Collingwood qui s’est montré prémonitoire à une époque où l’on a commencé à comprendre l’art contemporain comme une diffusion d’élite.


K. Bouachiche : Vous dévoilez là, cher collègue, l’essence même du problème de l’art contemporain, à savoir une triangulaire où chaque élément a du mal à correspondre avec les deux autres. Cette cohabitation entre l’artiste, le musée et le critique (sous-entendu l’artiste, l’architecte et le public) reste une énigme qui a tendance à nuire à l’art contemporain. L’artiste est dans une démarche d’expression indicible, il ne peut donc pas formuler clairement ses idées; il doit passer par une forme différente, originale et visuelle. Le musée tente de prolonger la diffusion de cette expression sans nécessairement la comprendre, d’où ce schisme ambiant. Quant au critique, il est dans la forme la plus tangible de l’expression; il cherche à rendre l’œuvre licite. Prenons la vidéo de Runa Islam intitulée “Be the first to see what you see as you see it”, celle-ci exprime parfaitement cette quête de la correspondance entre chacun des trois sommets du triangle. Je conseille à nos lecteurs de se pencher sur cette vidéo. Il serait ainsi trop facile pour ma part de vous la transcrire. Il faut faire l’expérience de l’œuvre. Comprendre un travail plastique, c’est faire la lecture des émotions que celle-ci nous procure sans attacher d’importance aux discours du musée et du critique. Il faut se plonger dans la peau, dans le corps, dans la tête de l’artiste, pour espérer une jouissance de l’art.


K. Deveureux : Cet aspect pragmatique, un peu hérité, c’est vrai, de John Dewey mais plus récemment de Richard Shusterman, annonce une réhabilitation de la prosopopée non plus comme figure de style mais comme exercice ludique. L’élitisme de l’art contemporain est dû, en partie, à ce que le public ne parvient que très rarement à faire émerger de sa personne autre chose qu’un air déconcerté. Comme il n’y a rien à voir, on part du principe qu’il n’y a en effet rien de visible, rien de perceptible, rien qui ne soit porté à investigation. La vidéo d’art transmet déjà une invitation à coloriser, à instaurer du dialogue à l’endroit des images qui se succèdent, du moins à réinventer quelques couleurs et à modifier quelques sonorités. Le travail d’Islam, que vous citez, conduit le public à repeupler tout ce dépeuplement esthétique. Ce personnage qui évolue entre les porcelaines et qui finit par les détruire, ce n’est autre que le public auquel on dit : « Vous avez une vidéo, faites-en ce que vous voulez, mais surtout dites ce qui vous passe par la tête sans risquer de passer pour primesautier ». La vidéo, en tant qu’elle ne dit rien et qu’elle ne montre quasiment rien, constitue probablement un élan de figuration qui ne nie pas le figuratif mais qui se pose comme un à-côté de celui-ci : Islam, à travers son travail vidéo, exige du public qu’il remette en scène le visible et que, simultanément, il se remette lui-même en scène comme visiteur actif.


K. Bouachiche : La place du spectateur n’est pas à négliger, c’est sûr. Le travail réel de l’œuvre, c’est sa capacité à s’extraire complètement de la vie de l’artiste. Le spectateur, par l’expérience de l’œuvre, la rend ainsi indépendante. Il est intéressant de se focaliser sur ces deux axes majeurs de pratique plastique, la vidéo et la performance, qui remettent au centre de leurs préoccupations la réaction du public. L’art contemporain se doit d’être vivant et ne plus se fixer dans un environnement commun et académique tel que vous le recommandiez précédemment. Un artiste comme Marcel Duchamp a voulu s’arracher de la condition institutionnelle de l’art en proposant au public de s’approprier son œuvre, néanmoins le système institutionnel a été plus fort puisque, aujourd’hui, les œuvres de ce visionnaire se vendent à des prix exorbitants. L’art contemporain est donc une lutte, je dirais même une lutte des classes. L’artiste préfère que son travail soit rendu au public, tel un chanteur donnant un concert, plutôt que d’être repris par une institution académique. Cependant nulle œuvre ne peut se prétendre art sans cadre institutionnel. Voilà tout le paradoxe.


K. Deveureux : Je me souviens, en parlant de Duchamp, de toute notre réflexion sur la condition de l’homme moderne aux toilettes. Nous parlions alors d’intimité, aussi je reprends cette idée des sanitaires en la restituant dans ce débat sur l’art contemporain. Il ne fait pas grand doute que Duchamp aurait apprécié qu’on se soulage sur ses propres œuvres afin de les rapatrier dans leur espace d’origine, en l’occurrence là où elles n’étaient que des objets semblables rendus subrepticement dissemblables par le monde de l’art. Mais pour pouvoir transgresser l’optique des musées et toute la discipline de visite inhérente à ces lieux, il faut posséder quelque chose de supérieur à la faculté de juger. Plus un système est fort, plus les individus intériorisent, et cette notion de système disciplinaire à l’intérieur même du monde de l’art produit une triangulaire trop équilatérale. On aimerait de ce fait que la triangulaire rejoigne la notion de ballotage politique. En somme, on aimerait que les œuvres exposées soient en mesure de quitter leur statut iconique, et que la vue d’une cuvette fasse signe plutôt qu’elle ne détourne le spectateur qui subirait une envie incommensurable.


K. Bouachiche : J’adhère à vos propos et confirme par l’état des toilettes des musées, propres et dépourvues de tout graffiti et expression corporelle, que le système institutionnel en place a définitivement gagné sur l’expression des artistes, et de surcroît sur celle du public. Je prolongerai votre idée concernant l’œuvre icône en proposant une solution définitive : l’art ne doit pas être conservé, il doit être brûlé dès lors qu’il a atteint un maximum de spectateurs. Nous devons nous débarrasser de la forme physique de l’art et n’en garder que l’esprit et l’idée. Je considère davantage comme artiste un individu qui marque au stylo bille « Momo est une tapette » sur la porte des toilettes du musée qu’un Simon Starling qui ne propose aux spectateurs qu’une récupération d’abat-jours née d’un design des années 1960-1970. Je déplore que l’art québécois fasse l’inventaire d’une récupération d’idées. Il aurait été préférable d’éliminer l’œuvre et de n’en conserver que la trace. La performance est pour moi la seule solution viable pour une évolution éthique de l’art. Une expression, un moment, une seconde, une œuvre, rien de plus, rien de moins.