samedi 22 janvier 2011

Apologie de Louis-Ferdinand Céline : révélation de la misologie qui vient.


Dans les événements que nous avons promis de commenter, permettons-nous un intermède. Il vient d’être décidé par Frédéric Mitterrand, sous l’impulsion du ressentiment de Serge Klarsfeld, le retrait de Louis-Ferdinand Céline des listes de célébrations nationales pour cette année 2011. La saveur de la phrase précédente fait qu’elle réunit trois noms propres dont au moins deux n’ont par leur place au registre de l’hommage national. En effet, nous ne célèbrerons par M. Klarsfeld dont les exigences suffisent à nous renseigner sur ses désirs trop grands. Or plus nos désirs désirent, moins il est facile de les satisfaire, à moins d’être soutenu par une métaphysique de la compassion qui se sent forcée de reconnaître à certaines confusions mentales un statut ontologique. Quant à M. Mitterrand, sa seule carrière de ministre impose d’emblée son éviction de l’excellence, lui qui introduit dans sa profession toujours un peu plus de médiocrité, comme s’il faisait un concours avec quelques-uns de ses collègues – nous l’avions associé récemment à Mme. Pécresse.

Mais nous ne célèbrerons pas Céline cette année, ou plutôt nous ne le célèbrerons que plus vigoureusement compte tenu des mascarades institutionnelles qui prétendent ne pas le faire. Le caractère officiel de cette annonce souligne quand même un pourrissement de l’État en tant que symptôme d’un public qui le constitue en principe par ses forces : sous couvert de préservation de la morale et d’objectivation répétitive du passé, l’État se met à décider de ce qu’il serait préférable de ne pas lire. Autrement dit la force du public qui fait un État est précisément en train de s’affaiblir puisque la voix d’un seul homme (M. Klarsfeld) semble s’émouvoir à la place de toutes les forces d’expression qu’on aurait pourtant aimé entendre sur la question. Quid des colloques céliniens, des chercheurs en Céline, des librairies qui vont en faire la publicité eu égard à cet anniversaire si contesté ? Nous avons refusé la consultation des premiers intéressés parce que, finalement, il apparaît qu’un intérêt assez prononcé pour les écrits de Céline semble irrémédiablement déterminé par un reliquat d’antisémitisme. En suivant cette logique imparable, on peut formuler un argument du sorite sous forme de question : à partir de combien de livres de Céline lus sommes-nous des antisémites ? C’est la question des grains de sable et du tas : combien faut-il que nous réunissions de grains de sable pour affirmer que nous sommes en présence d’un tas de sable ? Toujours est-il qu’il ne faut pas se creuser l’esprit pour à peu près évaluer le degré d’illumination qui anéantit la raison de M. Klarsfeld dans cette histoire. Et nous ne parlerons même pas de la raison de M. Mitterrand – sans aucun doute inexistante vu sa tendance au troupeau de la discursivité.

On en revient alors toujours au même point : faut-il procéder à une disjonction entre l’œuvre et la vie d’un auteur ? Apparemment non. Du moins certains auteurs bénéficient d’indulgence quand d’autres sont cloués au pilori de la morale. C’est un fait et c’est aussi un fait que la France n’aime pas beaucoup que l’on s’exprime en termes de « fait » : en ce moment, il y a incontestablement plus de considération générale pour un homme comme M. Drucker que pour un défunt comme M. Céline. Est-ce une différence de statut humain en cela que l’un est vivant quand l’autre est décédé ? Assurément pas puisque personne ne craint pour les futures obsèques de M. Drucker qui occasionneront des embolies cérébrales chez les téléspectateurs transformés en fantômes ou en zombies, au choix. M. Drucker intensifie en sa personne la faculté de présenter la sainte parole de la pensée unique, et nous appelons cette intensification un simulacre de volonté de puissance. Ainsi, même quand il s’ébroue au travers de gesticulations gênées lorsque ses collaborateurs s’affadissent de vulgarité, il est immédiatement pardonné par le decorum, c'est-à-dire par les circonstances spatio-temporelles. On peut appeler cela la « présomption de canapé rouge » ou, de manière plus transparente, l’hypocrisie qui s’avance à peine masquée. Pourtant M. Drucker est récemment l’objet d’une déchirure morale qui aide le public sagace à reconstituer la vérité d’une thèse silencieusement développée par Khalid Bouachiche tant elle dérange la bien-pensance : ce sont les détenteurs de la parole moralement assainie de la télévision qui sont probablement les plus enclins à voter pour le camp politique qu’ils dénoncent si virulemment sous le feu des projecteurs (en effet, on ne peut nier que ces bourgeois contemporains craignent qu’une jeunesse trop lucide en vienne à venir saccager leurs propriétés personnelles, ce qui ne pourrait que nous réjouir vu l’état actuel de la répartition des privilèges). Ou alors M. Drucker ne rend pas service au grand parti de gauche qu’il ne peut feindre de soutenir : ce serait un comble d’avoir dans ses rangs politiques un VIP qui a soumis son mariage si exemplaire à la « tentation ethnique et esclavagiste », pour n’évoquer que cela, et encore à mots couverts – le lecteur se fera sa propre censure s’il juge nos analogies verbales trop insultantes. C’est donc un autre fait : il existe en France des instances plus qualifiées que d’autres pour définir ce qui est bien et ce qui est mal. La judaïté, malheureusement très loin de Lévinas et de Maïmonide, est de nos jours utilisée implicitement comme vecteur d’amoindrissement des préjudices moraux – ou à l’inverse on peut clamer une certaine idée de la judaïté pour amplifier des préjudices. Dans cette logique, et indépendamment des comportements sur-policés de M. Drucker, il devient donc plus criminel d’avoir écrit de manière antisémite que d’avoir pratiqué un désolant tourisme sexuel complaisamment rapporté dans une œuvre littéraire (ceci selon le principe de non-disjonction énoncé supra). Comprenez ainsi que M. Drucker jugerait positivement de chroniquer quelques-uns des ouvrages de M. Mitterrand cependant qu’il ne pourrait faire autrement que condamner Céline puisque M. Klarsfeld vient de le reléguer au camp de concentration des auteurs proscrits... et que M. Mitterrand occupe actuellement une fonction que M. Drucker ne pourrait pas contredire puisqu'elle incarne un vaste horizon de pensée unitaire et fédératrice. La logique voudrait que ce beau et bon monde ne soit pas en possession d’œuvres céliniennes au logis familial. Le contraire nous étonnerait à peine tant l’hypocrisie entraîne les actions les plus contradictoires du moment que l’on obtient un gain de cause en lieu et place de toutes les forces publiques.

Donc M. Mitterrand, qui ne peut pas non plus porter tous les maux, vient au moins d’euthanasier l’État culturel français en acceptant d’entendre et d’acquiescer aux vociférations ridicules de M. Klarsfeld. Est-ce qu’une telle mesure est véridiquement prophylactique contre le virus de l’antisémitisme ? C’est tout l’inverse dans la mesure où l’affaiblissement du public ne peut pas l’aider à interroger avec intelligence la pensée. De telles applications étatiques donnent des arguments supplémentaires à d’autres partis, c’est tout. Le spectre du lobby continue de mûrir et il continuera de le faire dans la mesure où il devient de plus en plus difficile d’interpréter la multiplication des voix qui accusent certaines gens de dénoncer du lobbysme communautaire. Nous ne sommes pas antisémites, nous sommes tout au contraire des amoureux du judaïsme. Avoir supprimé Céline pour les arguments que l’on sait, c’est avoir finalement appliqué à un « adversaire » tout ce que le vrai judaïsme n’aurait pas perdu de temps à accomplir. Dans ces conditions, l’indignation de Stéphane Hessel prend rapidement une tournure prophétique. On commence toujours par des vérités locales avant d’assister à une implosion plus catastrophique. Il eût été si intelligent de faire de la littérature comparée entre Céline et Lévinas qu’on ne se demande même pas pourquoi les professionnels de la bonne pensée n’y ont pas pensé. Ce renversement dialectique très facile, nous en convenons, illustre malgré tout l’indigence de plus en plus manifeste de ces gens qui agacent la force publique. Ainsi l’augmentation de l’antisémitisme ne passe effectivement que par toutes sortes de mésintelligences. Le pire, c’est que ces mésintelligences se veulent organisées.
K. Bouachiche, K. Deveureux

lundi 17 janvier 2011

Prolégomènes à la Tunisie, le pays qui accoucha du génie Ibn Khaldoun.


Les récents événements qui ont secoué la Tunisie ont apporté beaucoup d’images au détriment d’une analyse réelle de la situation. Le professeur Khalid Bouachiche, Tunisien d’origine et ancien enseignant à l’Université de Gabès en sociologie et en lettres arabiques, publiera bientôt un commentaire de la situation. Nous déplorons évidemment le traitement hasardeux fait par les médias du monde entier, d’où notre souhait d’apporter ici un éclairage conséquent. Les changements politiques et sociaux qui surviennent actuellement en Tunisie constituent probablement le fait majeur de ce siècle, du moins à l’échelle de notre présent. Ces changements sont d’autant plus intéressants à examiner qu’ils soutiennent plusieurs des thèses que le professeur Bouachiche a présentées tout au long de sa relation épistolaire avec son collègue le professeur Konstantinos Deveureux. Ce dernier fournira un commentaire supplémentaire de la situation tunisienne quelques jours après la publication du professeur Bouachiche. Le professeur Deveureux, agrégé de philosophie et docteur ès lettres, complètera le propos en y ajoutant les outils conceptuels de la philosophie. Nous prions donc notre lectorat de rester très attentif à l’actualité de cet espace interactif et scientifique. Nous les prions aussi par avance de diffuser autant qu’ils le pourront les discussions qui se tiendront dans notre sillage. L’espace public ne peut que retrouver la place qui était la sienne s’il accepte le jeu de l’action et de la transaction des savoirs. Les professeurs Bouachiche et Deveureux ne souhaitent rien d’autre que cela, c'est-à-dire apporter des éléments de savoir afin que ceux-ci deviennent la propriété et l’appropriation de ceux qui se mettent en position de les recevoir.

Chaleureusement,

Kigame Bouttawa, secrétaire particulière du site et chargée de communication. Thésarde sous la direction du professeur Khalid Bouachiche.

jeudi 6 janvier 2011

La résurrection de Spinoza n'aura pas lieu.


L’état du monde, maintenant diagnostiqué avec certitude comme se trouvant aux prises avec un cancer stationnaire, ne nous permet pas de nous associer aux mouvements de foule qui surdéterminent chaque début d’année. L’institutionnalisation de la joie par le truchement des computations temporelles (jour de l’An, anniversaires, commémorations sécularisées etc.) exerce sur nos personnes un rejet aussi irréversible que permanent. Nous assistons à l’effondrement d’un droit personnel à la béatitude puisque la masse nous informe des opportunités de profiter du bonheur. Mais nous ne comprenons définitivement plus en quoi le bonheur est-il encore ce qu’il est quand il se manifeste sous les tendances solidaires de l’adaptation et de la réserve collective. Il semble que l’accomplissement de soi ne puisse désormais se faire que dans l’intégration factice d’une authenticité massive où les gens ne communiquent pas entre eux. Au lieu d’un échange réel où chacun pourrait considérer les possibilités de se dépasser tout en préservant la liberté d’autrui, nous sommes entrés dans l’ère du mouvement des surfeurs anonymes : tout le monde vise la même vague. Ce calcul de l’opportunité, que nous exprimions à travers l’idée de capture temporelle, s’affiche comme rigoureusement néfaste pour l’exercice spirituellement fécond de la contemplation. L’homme contemporain souffre du syndrome fantasmatique du mathématicien : plutôt que d’isoler une chose et d’en prendre soin, il souhaite créer entre les choses des rapports définitifs qui lui sont infiniment avantageux afin de jouir en solitaire de ces connexions superficielles. Nous rappelions en substance que le couple était devenu une masturbation à deux, or cette masturbation dé-jouissive n’exprime pas autre chose que les effets pervers de la mathématique existentielle contre les avantages de la poétique de l’élan vital.

Dans le Traité de la réforme de l’entendement, Spinoza affiche la volonté de changer de vie, et il se donne à cet égard des préceptes dont la lecture attentive s’avèrerait prophylactique pour le monde contemporain qui pratique la fuite en avant plutôt que l’observation du passé sur lequel nous sommes parfois ignorants. Ce sage Juif expatrié dans les Provinces Unies avait indubitablement le sens de l’urgence existentielle. On sait qu’il avait interrompu sa remarquable Éthique pour se mettre à la rédaction du non moins remarquable Traité théologico-politique, réponse circonstanciée aux problèmes incisifs de son époque. Cette conscience du monde reflète de manière rétroactive la minable inconstance des gens actuels qui se fabriquent une telle conscience en s’asservissant au poste de télévision. La supériorité ultime de Spinoza réside probablement dans le fait qu’il est conscient que la béatitude seule ne suffit pas à atteindre la souveraineté du Bien. La béatitude est tout au plus un ascenseur collatéral vers le Bien, et il faudra y adjoindre le concours d’autres volontés qui, elles aussi, ne viseront que la suprématie de Dieu. Encore faut-il être vigilant et ne pas promptement réduire Spinoza à un curé de catéchisme : le Dieu dont il parle, qui est aussi la Substance immanente à toutes choses, se peut prendre ici en différentes manières comme l’être se dit en plusieurs doctes façons. Du moment que chacun se sera mis dans la disposition de comprendre quel est le Dieu suprême qu’il désire atteindre sans que ce désir ne se construise sur l’échafaudage du manque, alors chacun se donnera la possibilité de saisir le désir comme un excès positif en lieu et place d’un désir toujours manqué qui ne vise que le contentement subit et condamné à l’altération. Le coït est une chose propice à l’entretien du corps, cependant il est le résultat d’une tristesse une fois que les remuements de la jouissance sont passés. Combien d’hommes mariés ont-ils été heureux un mois dans leur couple avant de s’ennuyer un demi-siècle ? Ainsi Spinoza ne réprouve pas les biens factices de l’existence, il nous met juste en garde sur le fait suivant : à savoir que l’obtention facile d’un plaisir est loin de constituer la nature réelle du bien. Ces biens que sont l’argent et la richesse sont composés d’une nature incertaine ; les biens suprêmes ne sont pas moins incertains dans la mesure où leur obtention est complexe, mais ils ont au moins le mérite et la noble grandiloquence d’être certains en leur nature de suprématie.

Mais tout le spinozisme est peut-être trop faible à contenir les dérives modernes de la subjectivité humaine. Au temps des Provinces Unies, mis à part la folie de quelques religieux vindicatifs, on n’avait guère à se plaindre des divertissements. De nos jours, la prolifération des divertissements nous détourne des vraies possibilités de vie. Les mères de famille élèvent leur progéniture gâtée selon la morale de Walt Disney (retardant de ce fait une éducation sexuelle saine), les pères se marient par mimétisme en choisissant le désespoir contenu plutôt que le bonheur du creux solitaire de la vague, et les individus en général achèvent la déperdition de leur âme en s’instruisant par la télévision, cette nouvelle boîte pleine d’icones.
Le monde occidental, donc, souffre peut-être d’une condition d’impossibilité quant à son changement ou quant à la réversibilité de ses valeurs matérialistes. Si bien que le changement de vie que nous distinguons parmi ces augmentations d’égocentrismes ne peut sans doute passer que par la bravoure du suicide collectif. L’Occident, à défaut de produire de l’intelligence, se donne la mort à doses homéopathiques mais certaines. L’iconoclasme consubstantiel à la masse médiocre passe inexorablement par la suppression de soi-même. L’accroissement du taux de suicides nous rassure en ce point. Puisque la masse est incapable d’assassiner ses propres idoles, qu’elle s’assassine au moins elle-même ! C’est ce qu’elle fait à merveille en choisissant le plus apparemment facile au détriment du plus certainement meilleur.
Dans le sillage de tout ce que notre pensée a déjà écrit ici, nous continuons notre système de réjouissances personnelles en nous gargarisant d’avance des prochaines catastrophes naturelles, des prochains attentats, des futurs meurtres familiaux, toutes ces calamités providentielles pour un monde occidental devenu incapable d’intérioriser son extravagante soif déplacée de pouvoir. Mais ce manque d’intériorisation n’est jamais plus terrible que lorsqu’il se conjugue à une ignorance de l’extérieur : c’est pourquoi l’Occident sera de nouveau frappé dans son dos, et pour son plus grand bien.

Professeurs Khalid Bouachiche et Konstantinos Deveureux.