lundi 15 août 2011

Après l'indignation molle, la révolte vérace.



Le ralentissement de la raison causé par la période estivale ne nuit en rien à l’exercice de la faculté de juger. Nous avons pris acte des émeutes londoniennes. Il nous a paru essentiel de réagir, mais seulement une fois les esprits apaisés. Nous avions indiqué il y a plusieurs mois deux points cruciaux ; nous les restituons selon l’ordre chronologique où ils ont été évoqués : 1/ Les banlieues françaises n’ont pas été soutenues par la politique de la société civile malgré les mouvements qui les ont secouées depuis environ les cinq dernières années. Les jeunes de banlieue vivent en étant amputés de certaines références, comme par exemple l’existence des Universités – très souvent, les lignes de bus ne rejoignent même pas les centres urbains quand on vit dans telle ou telle cité. De ce fait, ils expriment une colère en ne sachant pas toujours frapper aux endroits douloureux. En d’autres termes, les émeutes françaises sont moins néfastes pour ceux qui sont supposés être visés que pour ceux qui sont susceptibles d’être comptés parmi les contingents rebelles – c’est le serpent qui se mord la queue en croyant qu’il passe à l’offensive. En somme, la banlieue n’a pas un plan efficace pour manifester, et nous ne leur conseillerons pas de se syndicaliser (eux ne seront pas assez bêtes pour s’inféoder à un mécanisme qui prend possession des grèves pour mieux les contrôler). 2/ Les lycéens, à l’automne 2010, ont parlé de « faire la révolution » avant de sagement retourner étudier. L’étouffement du mouvement parisien a été particulièrement drôle à nos yeux. Comme d’habitude les « grands » lycées ont fait semblant de relancer un communisme sartrien (en l’occurrence un non-engagement politique), tandis que les autres ont profité d’un effet boule de neige pour relâcher pendant un moment la pression sociale d’une année de Terminale – passé la Toussaint on n’a plus rien vu, et le Baccalauréat a atteint en juillet dernier des taux records de réussite avec les contextes que l’on sait. On voit donc parfaitement le contraste entre deux jeunesses :




- La jeunesse des banlieues qui manque de moyens pour agir, mais qui manque aussi d’intelligences pour faire perdurer les actions (y compris les plus violentes).
- La jeunesse « bohême » qui s’invente des révolutions en ignorant la première jeunesse, celle qui compte car la plus énergétique pour la démocratie. Le lycéen de Paris, pourvu qu’il fasse son rebelle en semaine et qu’il aille à la piscine des parents en fin de semaine, sera satisfait.

Nous appelons ainsi la jeunesse banlieusarde à réinvestir le plan d’action des émeutes. Ce qu’il faut bousculer, ce sont les lieux où se dégagent les perfidies d’un système qui déguise l’aristocratie reproductrice en égalité des chances. Les émeutiers doivent impérativement assiéger nos « grandes » Écoles et toutes les structures afférentes à ces réseaux de formatage. Un pays ne peut pas avancer sereinement en pratiquant deux vitesses trop distinctes. Ce sera bien pire dans une ou deux décennies si la jeunesse des banlieues ne pratique pas bientôt sa révolution initiatique. On se dirige peut-être vers un soulèvement deux fois plus infernal que celui de Londres si la gouvernance française continue à masquer le fond du problème. Une action politique intelligente serait de vraiment commencer par faire fusionner les grandes Écoles et les Universités. La simplicité de la solution est souvent l’apanage d’une résolution causale plus vaste. Appelons cela le « courage de la vérité ». Nous avons prévu beaucoup d’événements depuis le début de nos réflexions, aussi nous prenons nos lecteurs à témoins en cette date symbolique du 15 août pour qu’ils se souviennent de ce que nous avons écrit lorsque tout cela arrivera sur la scène historique.






K. Bouachiche, K. Deveureux






* en photo : un exemple d'indignation molle à l'ENS rue d'Ulm.