mercredi 29 juillet 2009

Elle va mourir la mamma.


Très savant Bouachiche,

Qui ne saurait voir dans votre lumière la clarté de la raison ne ferait qu’un aveu d’obscurantisme. Vous avez prodigieusement analysé le principe des actions maternelles comme étant reliées à des intentions religieuses. La mère dresse la progéniture pour lui faire sauter des obstacles, ce qui n’est pas différent du dompteur qui fait le spectacle dans les cirques de campagne (et des moines copistes qui empilent des préceptes). Les actions, apparentées à des intentions dogmatiques, ne connaissent pas l’alternative de l’imprévu. En d’autres termes, les enfants subissent souvent un élevage qui les confine à la sphère d’une intimité repliée sur elle-même, obstruant de ce fait les réalités robustes de la vie. Une intimité se discute autour de la question « Que m’est-il permis de faire ? ». Je voudrais rétablir cette question à la mesure de votre propos : qu’est-il permis de faire quand tout doit se faire ? J’insiste sur cette notion du devoir dont les volontés viennent d’en haut. La vraie présence du Bien est galvaudée par ce tiers hégémonique qui s’imagine nous définir quel est ce Bien que chacun devrait pourtant se décrire à lui-même avant de se le faire édicter. Un impératif catégorique vaut pour le sujet qui se le manifeste. A la suite de quoi, l’universalisation de l’action n’a pas besoin d’être concrète dans la mesure où l’action est universalisable de jure mais non de facto. Que m’importe alors de savoir si mon voisin entretient des rapports étranges avec ses animaux du moment que je constate que mon caniche est sociable en présence d’invités ? Qu’est-il besoin de me montrer que des individus sont dangereux alors même que, quand je les vois, ils ne sont pas dangereux ? En ce sens, la stigmatisation est mère d’intimité puisque mes repères intimes sont autant de stigmatisations qui brouillent mon contact avec l’extériorité. Je le dis encore autrement : ne devraient être intimes que les actions dont nous savons qu’elles n’apporteront pas de nouveauté sur le monde (rapports sexuels, discussions frivoles, disputes d’amoureux). C'est-à-dire que toutes les convictions ne relèvent pas de l’intimité, du moins dans l’idéal. Ce ne sont que des opinions malades qui demandent à entrer dans l’espace public pour être soignées. La vérité est synonyme d’une discussion qui se départage les vraisemblances. Par conséquent celui qui commencera pas dire « Je sais que j’ai raison » est celui qui ne possède pas les aptitudes à la vie socio-discursive. Je soupçonne un tel individu d’avoir vécu longtemps chez ses parents et d’avoir bénéficié de la longue vie de ses grands-parents. Car on a beau jeu d’être attentif à la mamma : il y a aussi la grand mamma.
Voyez que la psychanalyse est une science dépassée. Il m’a toujours semblé que l’assassinat symbolique du père ne faisait que colporter les infections sous-jacentes de la féminisation des esprits. Le mieux serait d’assassiner le père et la mère et, si possible, les grands-parents. Un adolescent de Ken Park réussit cette prouesse à moitié : il poignarde ses grands-parents après (ou avant) s’être masturbé en écoutant les gémissements caractéristiques du tennis féminin. Il a parfaitement distingué l’intimité de la vie sociale : l’onanisme continue d’être par définition une pratique autogérée (elle n’apporterait de surcroît rien de plus aux connaissances publiques) tandis que la vie sociale se trouve améliorée par l’éviction de certains êtres. Ici le meurtre est évidemment une radicalité. Néanmoins, il est tout à fait possible de faire le pari de l’indépendance en refusant de copier les discours familiaux, c'est-à-dire en refusant de compléter l’album de photos de famille selon les mêmes angles et les mêmes paysages, et aussi en refusant le concept hypocrite de caveau familial. Des personnes mal renseignées se disent que les disputes cessent dans la mort ; je les trouve très condescendantes de vouloir trouver la pacification ailleurs que dans le monde car elles s’imaginent un peu vite que leur influence aura de quoi perdurer au royaume des cadavres et, qui plus est, que cette influence sera pardonnée par les spécificités de l’Hadès. Au contraire devraient-elles faire l’effort de soigner leur âme avant que celle-ci ne soit punie dans l’Hadès. Il n’y a rien de pire qu’agir mal en connaissance de cause et que refuser d’être réorienté à cet effet (ce en quoi la prison est incompétente car elle se préoccupe davantage de réorganiser le déplacement des corps que celui des esprits). Ainsi est la mamma par rapport à sa progéniture : elle peut aller jusqu’à enseigner que le médecin sera moins compétent qu’elle si la progéniture venait à souffrir d’un mal singulier. Or je n’ai pour le moment pas encore constaté de guérisons subites quand les cancers avaient déjà portes ouvertes sur les vivres. Même les Amish ont dû se plier à la compétence, et ce n’est pas étonnant qu’ils aient développé des cancers.
L’objection pourrait être la suivante : réorienter l’âme, n’est-ce pas substituer une religion à une autre ? Non à partir du moment où la réorientation ne se fait pas sur la base de croyances. En privilégiant les connaissances, on accentue la clarté d’une cartographie du monde, ce qui ne peut qu’alimenter le désir de découvrir. Il peut être douloureux de découvrir que l’on a eu tort, toutefois il en émane presque toujours un bonheur synonyme de libération. Or c’est justement parce que c’est d’abord douloureux que beaucoup préfèrent conserver le plaisir intime de la croyance car ils redoutent comme la peste l’effort de la connaissance. Elle va mourir la mamma, c’est déjà une évidence qu’une majorité n’assimile pas. Et ce sont curieusement les mêmes personnes qui vont fleurir le caveau familial.

Allocentriquement vôtre,

K. Deveureux

mardi 28 juillet 2009

Pédophilie mentale.


Cher Konstantinos,

Je m'émerveille de votre constat. Votre propos est lourd de sens et nombreux sont les nécessiteux qui devraient en prendre quelque substance. Votre entendement sur la conscience du monde déjà présente dans nos êtres est pour moi plus que novateur. En effet, je suis de ceux qui pensent qu'un enfant possède à sa naissance toute la génétique du monde, c'est-à-dire une sorte de potentiel faramineux d'idées et de valeurs variées.
Je vous accorde par ailleurs que la parole est un négatif de l'image mais la notion d'intime est, elle aussi, un brûlot pour nos conceptions plurielles des choses. Elle réduit à l'unique. Nous entamons donc une déconstruction.
Je m'explique. Lorsqu'on dépasse un certain âge, probablement les sept années d'existence puisqu'elles sont définies comme raisonnablement acquises au bout de la septième, notre conscience du monde commence à s'amenuiser sous l'égide de la pensée maternelle. La matriarchie est subventionnée par l'intime. « C'est parce que je suis ta mère que je décide de ce qui est bien pour toi », « je te connais mieux que personne, c'est moi qui t'ai mis au monde », comme si, finalement, la souffrance de l'accouchement devenait gage suprême de la matriarchie.

Mais une mère connaît-elle vraiment son enfant ? Est-ce que cette connaissance n'est pas obscurcie par une volonté farouche et égoïste de vouloir contrôler la progéniture ?

Je conçois l'enfant comme un prolongement clitoridien de la mère. Celle-ci en use et abuse pour son plaisir privé. Ceci étant encore accentué lorsque le mari se définit à l’image d’un incapable orgasmique. Il n'y a rien de plus jouissif pour une mère que de retrouver une forme d'emprise sur sa descendance. Cet assujettissement est d'autant plus fort lorsque l'enfant traverse une période de crise. Il existe donc une forme de plaisir masochiste de la mère. Il se situe à la fois entre douleur et orgasme, respectivement parce que son enfant est fragile et parce qu'elle retrouve son influence de dépendance suscitée par cette fragilité. Le concept de la mamma italienne en est le plus brillant exemple. Ajoutez à cela un brin de religiosité et on aboutit à un maternalisme fascisant qui pousse notamment les fils à une délinquance accrue. Je reviendrai ultérieurement sur la relation mère-fille, dont le schéma est presque similaire, à cette exception près que la fille possède vis-à-vis de sa génitrice une adhésion à son discours quasi inaliénable. Bien sûr il ne faut pas généraliser, d'autres facteurs sociologiques sont aussi en cause mais ce n'est pas le propos de ce courrier. Entendez-moi bien : mon propos n'est pas une question d'éducation mais bien une schématisation du formatage maternel. Certes l'éducation peut effectivement prendre part à cette castration idéologique lorsque l'enfant est orphelin. La scolarisation de l'enfant n'est qu'une suite logique. Le programme scolaire veut tout dire en ce sens : on cherche à programmer l'enfant à une certaine culture limitée. Surtout ne cherchons pas à éveiller l'enfant sur des discours contradictoires qui le pousseraient à réfléchir. Il s'agit d'un sectarisme à faire pâlir la scientologie mais ceci est un autre débat.
J'exclus également la figure paternelle dans le sens où celle-ci occupe une fonction différente dans le couple. Ce rôle est cautionné et défini par la dominance féministe du couple. Le père sera donc plus permissif que la mère, à moins d'un profond sillage dans les valeurs parentales (dans le cas de l'homosexualité, celui-ci est de taille). Dans les deux cas de l'homosexualité féminine et masculine, l'autorité supposée du père, et je dis bien supposée car elle n'existe que sous la tolérance de la mère, est remise en cause. L'homosexualité est pour moi une nouvelle forme de féminisme dans le sens où il faut revendiquer son identité propre.
L'intime est donc un canal précieux pour réduire notre conscience plurielle et différentielle du monde à un sens unique.
La communauté familiale, et à plus forte raison celle du couple, est par conséquent véritablement une forme de cancérologie pandémique. La famille, autiste et narcissique, représente notre repère prééminent en matière de valeurs. Nous sommes, dès lors que nous naissons, assujettis à un mode de pensée qui gangrène notre rite initiatique de la découverte du « dehors » (j'entends par dehors la porte, souvent dissimulée, de la maison familiale et/ou coloniale). En second lieu, l'éducation, notamment scolaire, est continuation et succession systématiques du patron familial. Nous tentons désespérément de reconstruire le schéma matriarcal que nous avons connu. Il est pour nous une question de survie.
Et je prends exemple sur vous, cher confrère, en terminant mon courrier par un cas de figure : on dit souvent qu'un enfant battu deviendra un parent battant mais je m'inscris en faux. Cette maxime débile conduit l'enfant, victime de violence, dans un déterminisme outrancier qui le condamne dans sa chair de manière anticipée. Même si celui-ci arrive à s'en extraire, sa condition passée resurgira par l’intermédiaire de tiers bien-pensants. On peut aller plus loin et faire un rapprochement, au reste violent mais nécessaire, avec cette fameuse loi française sur la rétention de sûreté. Je suis un danger stigmatisé, reconnu de tous, et contraint par une moraline sirupeuse. Le fait de lui rappeler sans cesse son état conduira inexorablement cet être a commettre le même schéma parental. Il est donc nécessaire de prodiguer au plus tôt une ablation du concept famille. Le concept matriarcal ne peut être régi que par des lois religieuses dont il faut se défaire pour oser affronter la terrible indépendance.

Cordialement,

K.B

dimanche 19 juillet 2009

Une grammaire fantomatique.


Cher collègue,

Enfin nous y sommes à ce virage conceptuel qui nous guettait du fondement de son repaire ! Tout a lieu dans le basculement que vous pointez à la fin de votre lettre : se peut-il que la parole devienne un message sans en avoir l’intention ? Ce passage de l’intime au dévoilé est fort connu des petites filles qui naguère ont rédigé des journaux secrets, lesquels ont tragiquement été découverts par les parents. Ces derniers s’inquiètent pour pas grand-chose : chaque petite fille a voulu se suicider parce qu’elle se trouvait moche, ce n’est pas pour autant qu’elle pensait le mettre en acte, elle ne faisait que traduire péniblement une pensée dont elle n’était pas consciente qu’elle appartenait au territoire ententif de son adolescence en gestation. Qui n’a pas voulu se suicider étant jeune n’a pas vécu et finira probablement par se donner la mort étant plus âgé. C’est que l’âme humaine est moins encline à se poser des questions au fur et à mesure que le corps se froisse de vieillesse. La raison en est simple : l’âme supporte de moins en moins d’habiter dans une maison qui se délabre et, ce faisant, mourir de vieillesse revient à faire le constat d’une ruine inhabitable.
Pour revenir à ce que vous exposiez centralement, je me demande s’il est vraiment possible de penser que la communication humaine puisse espérer dépasser l’influence des petits groupes homogènes. En inventant le concept de catégorie, Aristote avait déjà compris qu’une science de la nature ne pourrait devenir intelligible qu’à travers un découpage qui saurait satisfaire les faiblesses de la raison humaine. L’expansion des sciences, à ce titre, n’est pas autre chose qu’une tentative difficile d’apposer notre liberté sur l’espace déterminé de la nature. Parce que nos actions dépendent a priori d’une volonté libre, elles sont couramment interprétées selon deux critères : 1. La façon dont elles se sont accommodées de la nature conditionnée. 2. La façon dont elles vont être jugées par d’autres réseaux ou, pour le dire logiquement, par d’autres volontés libres. Le travail du sociologue va dans cette direction.
C’est la raison pour laquelle le communautarisme est abrutissant ou, si l’on veut, abalourdissant. Les communautés se disent dans la vérité de leur espace sans se préoccuper du fait que d’autres communautés les disent dans la fausseté d’un espace auquel elles n’appartiennent pas encore. Pour le dire autrement, la vérité de l’un est toujours l’erreur d’un autre, ce qui produit le basculement du privé au public, soit le moment où la vérité individuelle se met à l’épreuve de la vérité de masse (les deux ne valant pas davantage mesurées l'une à l'autre). De la sorte, les conversations en petits groupes sont plus évidentes étant donné qu’elles ne mettent en scène que des vérités individuelles qui auront des chances de s’accorder en vertu du groupe préalablement consenti. La famille, par exemple, est une communauté de ce type, d’où les présentations grotesques qui ont lieu lorsque le jeune premier doit révéler sa jeune première. Ainsi des familles hautement conservatrices ne parviennent pas à minimiser leur vérité quand elles apprennent qu’un des leurs vit une relation homosexuelle. Accepter l’homosexualité va plus loin qu’une vague attitude de présentation, cela doit rendre compte d’une modification discursive qui fonctionne à l’instar d’un organe vital (d’où les expressions courantes en ces circonstances : « Il a eu le cœur arraché de constater que son fils prodigue batifolait en réalité avec le neveu de son meilleur ami »). Ainsi n’y a-t-il pas réellement de différence entre ce que l’on dit et ce que l’on pense dans la mesure où ce que l’on pense finit par se révéler par rapport à ce que l’on n’a pas toujours voulu dire.
Sur ce principe, je fais de la parole un organe susceptible d’attraper un cancer et, du même coup, je rejoins l'objet de votre cancérologie novatrice. Beaucoup ne peuvent se taire parce qu’ils ont l’organe gros. Crever l’abcès, par exemple dans le couple, signifie opérer la tumeur qui a investi la parole brimée des deux amants. Non pas qu’ils n’aient chacun un organe de langage, mais ils ont fabriqué un tiers-organe qui a dévoré les leurs respectifs, si bien que le couple ne communique plus selon la liberté de l’arbitre mais selon l’accent communautaire qu’ils imaginent détenir en tant que couple. C’est là, j’en conviens, un cancer quasiment inopérable et je ne parierais pas sur une purgation du langage prescrite par le regretté Ludwig Wittgenstein. Dans cette perspective, la grammaire des énoncés quotidiens n’est plus suffisante et elle doit se convertir à une grammaire des énoncés timides, en l’occurrence des énoncés qui possèdent en eux-mêmes la suffisance d’esprit qui les cantonnera à la sphère du domaine privé grammaticalement entendu. Ce n’est pas tant la vérité qui compte mais la conscience de ne pas la détenir. Sur la base de cette timidité espérée, peut-être peut-on valoriser l’hétérogénéité des groupes qui, à petite échelle, ne fait que déployer l’hétérogénéité du monde à grande échelle. La communication, contrairement aux assertions de quelques savants fous, n’est pas affaire de science. Tout l’effort de se tourner vers l’autre dépend de notre capacité à ne pas faire de nos énoncés les énoncés des autres. Comme vous le faisiez remarquer, les expériences du monde se définissent à partir d’interactions et non à partir des seules actions. Ce qui aboutit à la thèse suivante : la parole que nous disons est un négatif de l’image véritable que l’on se fait des choses. Par conséquent celui qui parle doit déjà avoir à l’esprit que sa conscience du monde n’est pas à venir mais qu’elle était déjà là, quelque part en son être. Et bien souvent les paroles ne sont que des bruits, ce qui nous permet de diagnostiquer les cancers du langage incubés tout au long d’une existence passée sous vide. En fin de compte, pour qu’une parole délivrée du communautarisme soit possible, il est nécessaire en premier lieu de se délivrer de la communauté du soi et du petit soi (couple, groupes de fanatiques, comités d’entreprise etc.).
Même si je n’ai pas pour habitude d’achever mes courriers sur des exemples, je veux le faire ici en désignant un cas de cancer patent tellement il saute aux yeux. Les villages, naturellement porteurs de traditions et de passéisme, sont des cancers généralisés qui regroupent en un cadastre minimal des zombies à peine capables de pacifisme entre eux. Parce qu’ils savent qui pratique ou qui rejette la fellation, ils se sentent instruits d’un message d’envergure. Ne soyez alors pas surpris de constater que les mots des cancéreux ne sont pas fidèles aux définitions des mots libérés du communautarisme : c’est une institution proprement communautaire que de penser que le soleil se lèvera demain et que la pleine lune excite le loup-garou pendant que le noir attire les fantômes.

Votre ami,

K. Deveureux.

Dialogue de sourds.


Mon glorieux compagnon de route,


Je prends un peu d’espace numérique pour manifester toute mon affection quant à votre réflexion du ceci et du cela. J’adhère totalement à cette brillante idée de complémentarité du sensible et de l’intelligible. J’en parlais encore hier soir avec mon collègue Timothée, un brillant anthropologue qui mène une recherche acharnée sur la déstructuration de la figure humaine dans le travail intérimaire. Il me confiait toute la reconnaissance qu’il porte aux travailleurs de fond, ceux qui vouent une allégeance totale à leur vocation professionnelle. Nous avons convenu ensemble que des porte-paroles doivent être saisis pour faire entendre leurs réflexions de terrain en y ajoutant le recul nécessaire qui permet d’analyser presque froidement les mécanismes humains parfois si souffrants.
Il est donc nécessaire de recouper les compétences de chacun et c‘est là que réside la véritable curiosité comme vous la définissez si bien. Il est vrai que je n’ai de cesse de répéter l’importance de la mixité dans toutes les choses que nous entreprenons mais, une fois de plus, le monde est sourd. Une sourdine consentie qui donne à chaque homme la possibilité de s’annihiler en tant qu’entité intelligible. Cependant « mettre en sourdine » n’est pas si facile. Nous l’avons vu, le savoir télévisuel emphatique permet de corrompre tout cheminement de pensée mais cela ne suffit pas. En effet, dans une société qui prône l’individualisme exacerbé, on se retrouve bien souvent seul lorsqu’on rentre du travail ou que l’on se couche (j’entends le mot « seul » non comme une solitude physique mais plutôt psychique) et, contrairement à ce que l’on pense, le silence est très bruyant.
Il ne faut pas laisser choir notre conception de chair. Nous sommes composés de cellules qui réagissent au monde extérieur. Nous sommes de véritables amas de billes de polystyrène qui réagissent au moindre changement de rythme. Je veux dire par là que chaque expérience quotidienne, qu’elle soit heureuse ou douloureuse, est emmagasinée par notre réceptacle corporel et que si nous les dénigrons dans notre réflexion de vie, alors nous mourrons à coup sûr d’un cancer. Cette maladie est le résultat probant d’une négation de soi et de ses besoins. Et l’on ne peut pas se débarrasser de ces ondes sismiques comme on passerait une lingette démaquillante le soir avant de se coucher.
Soyons réalistes, nous ne pouvons échapper à deux facteurs anxiogènes : la mort et la réflexion sur soi. Le premier nous l’avons déjà parcouru sans fard ni faux-semblants. Je conseille donc à nos lecteurs de consulter quelques lettres et articles publiés en amont. Le second, nous en avons esquissé quelques semblants de façon transversale, sans vraiment prendre conscience de cette fuite de l’être face à son non-être comme vous le dites si bien. Je pense que nous n’avons pas assez mesuré la difficulté de la nature humaine à se considérer simplement comme être de nature humaine. Pourtant il y a bien une faute identitaire que nous avons saisie, vous et moi, c’est-à-dire une scission profonde entre « ce que je suis » et « ce que les autres perçoivent de moi ». Bien souvent, je dois le dire, cette faute, je l’incombais à une forme de pression médiatique et culturelle mais je m’aperçois que le fond du problème n’est pas ici. Où se trouve t-il donc ? Je dois dire que je n’en ai pas encore une réponse claire. Quelques pistes bien sûr sont à explorer dans l’attitude passéiste de certaines gens mais je me doute que ce n’est pas la seule explication. Les méandres de la société sont nombreux et parfois multidimensionnels.
On se retrouve donc souvent seul face à nos propres réflexions et cela nous effraie au plus haut point. Il n’y a pas plus angoissant comme situation que de se retrouver à prendre une décision qui ne concerne que soi. Une peur massive de l’isolement guette alors chaque individu incapable de s’extraire de sa condition de téléphage. Hormis la « boîte à image », il existe une autre solution facile et qui nous conforte la plupart du temps dans nos choix de vie (nous en avons souvent dénigré le sens et une fois de plus je recommande à nos lecteurs de relire quelques courriers précédents), je veux bien entendu parler de l’effet de masse et du communautarisme abrutissant. La nécessité de faire partie d’un groupe totalement homogène est une question de survie lorsqu’on veut anéantir sa conscience du monde. Il est vrai qu’il est dangereux de prôner une vision et une réflexion omniscio-mondiales mais s’extraire complètement de celle-ci pour se fondre dans un papier peint communautaire vieillot et jauni est une façon de revendiquer l’asphyxie de l’homme. Dans l’idéal, le groupe hétérogène est la meilleure façon de préserver la conscience du monde tout en conservant son arbitre.
Le silence est donc nécessaire, il faut apprendre à se taire et écouter pour éviter le ceci et le cela. Notre faculté de parler et de communiquer nous rend hermétiques à toute interaction intellectuelle. C’est évident, lorsque nous parlons et que nous mobilisons l’attention, nous ne pouvons pas comprendre notre environnement. Ceci est l’apanage de tout homme politique. Il est donc nécessaire dans un premier temps de se prostrer dans un mutisme absolu, d’observer avec attention toutes les sources d’une information, et enfin d’ouvrir la bouche pour en extirper l’essence juste. Ainsi on ne parle pas pour ne rien dire et la parole devient d’or. Néanmoins le système peut être abrogé dès l’instant où l’on entre dans une sphère publique de grande échelle. Voici donc notre Everest.
Pourquoi faut-il toujours qu’une conversation commence par des futilités climatiques ? Commençons par un silence, une respiration qui va donner du souffle à nos propos. Mais attention d’autres pièges nous attendent. Les mots galvaudent la pensée pure, il faut s’en méfier, ils trahissent notre conception et font parfois des amalgames douteux dans l’esprit d’autres. Ainsi, vous avez largement raison de souligner le fait que notre relation épistolaire est déjà loin de notre précepte initial. Mais nous n’y pouvons rien. Chaque œuvre construite est juste. Il est donc normal de la soumettre aux aboiements des masses qui ne feront que renforcer le poids de chaque mot. Cette relation épistolaire ne nous appartient plus dès lors qu’elle est rendue publique. Nous n’en sommes plus maîtres et la beauté des choses réside dans les quelques secondes de ce basculement.

Best regards

K.B

samedi 18 juillet 2009

Quotations 2.


Quand je dis d'un ami qu'il est véritable, je veux dire qu'il l'est dans le concept même de vérité, c'est-à-dire non pas comme une notion de véracité amicale, mais plutôt comme une personne ancrée dans un savoir juste.


K. Bouachiche


Les préceptes religieux font preuve de véritables stigmates de l'inaptitude sociale. Comment pourrais-je m'intégrer dans un système sociétal en m'infligeant toutes sortes de rituels grossiers ?


K. Bouachiche


Si j'entreprends un chemin vers mon voisin avec les oeillères de la croyance, je ne pourrai que vouloir le recruter à ma cause.


K. Bouachiche


Il n'y a pas de doute possible : pour moi la religion est un handicap mental et moteur lourd pour notre société humaine. Pour preuve ces résultats : le SIDA est la maladie du vice régie par Satan et ses apôtres; le mariage est la clé de voûte de l'accomplissement personnel; les enfants sont le gage d'une réussite au bonheur.


K. Bouachiche


Parce que l'excommunication ne fait pas partie des notions juridiques attestées, alors des tribunaux mis en place ont tout d'un Jugement Dernier, et l'un des leurs a sournoisement conclu qu'une enfant de neuf ans s'était rendue coupable d'une hérésie dont elle n'est a priori pas capable de reconnaître la nature hérétique.


K. Deveureux


Ce monde de dissimulation et de discrétion un peu malsaines n'existe plus et de nos jours le curé se masturbe à la vue de la moindre évocation phallique. Aussi la pratique onaniste n'est pas une réforme dogmatique qui aurait surgi de nulle part, elle a constamment été l'apanage des vies de réclusion idéelle.


K. Deveureux


C'est dire la fragilité de la pensée religieuse si l'on suppose la raison d'une jeune enfant assez forte pour faire péricliter deux mille ans de raison canonisée.


K. Deveureux


Je trouve que cette idée de s'isoler alors que la population terrestre ne cesse de croître est une idée au minimum obsolète. Par conséquent l'archivage de l'Eglise aidera à la vaccination de cette trisomie protocolaire.


K. Deveureux


L'affection est futile et il faut s'en débarrasser au plus vite.


K. Bouachiche


Nous, sociologues, nous sommes les regards du monde, nous transcrivons les rouages de la société, tandis que vous, philosophes, vous dénoncez les abîmes de la pensée, vous déjouez les facultés primaires du raisonnement pour donner de l'ampleur à votre réflexion du monde.


K. Bouachiche


La peste universitaire est une maladie contagieuse qui pousse les étudiants à pré-recracher leurs travaux dénués de sens.


K. Bouachiche


La science universitaire se dit comme un McDonald, avec des menus, pardon des U.V, pas chères, faciles à emporter, et prêtes à être mangées, mais qui vous donnent toujours de fortes diarrhées peu de temps après les avoir consommées.


K. Bouachiche


Autant les chaînes de télévision se doivent de rendre les cerveaux disponibles pour un Coca-Cola, autant les universités doivent rendre l'estomac de leurs étudiants digestif pour un savoir sans saveur. L'estomac est donc disponible.


K. Bouachiche


L'Université se doit comme objectif principal d'adopter la culture biologique.


K. Bouachiche


Mon métier consiste en un inventaire des pensées proverbiales, le vôtre en une clarification des postures subordonnées à un tiers concret ou transcendant. Mais notre objectif se croise autour de la même intention primitive : combattre la croyance à mains nues afin de territorialiser un savoir de consistance.


K. Deveureux


De notre temps, on accusait les Universités d'être enjuivées, et désormais nous avons des Universités engraissées, mugissantes et probablement vagissantes.


K. Deveureux


Croyez bien que je suis attristé de voir des étudiantes aux comportements de vache. Quant aux étudiants, ce sont des veaux qui se prennent pour des taureaux et qui s'évertuent à me proposer du bullshit.


K. Deveureux


Un chef de l'Etat se définit comme une sorte de super héros pantomime de systèmes ancestraux ancrés dans une surenchère du profit véritable.


K. Bouachiche


Nous savons pertinemment que la politique d'un bien partagé amène dictature et rejet de l'intelligence particulière.


K. Bouachiche


Je ne suis pas pour une reprise d'un partage des richesses, stupide et fascisant, non, je parle d'une nécessité urgente d'employer les compétences de chacun au service d'une rétribution organique, non monétisée, assujettie et proportionnelle aux fondements des besoins vitaux de l'être vivant.


K. Bouachiche


Je demande alors à ce que nous interrogions de plus près l'ontologie des étants économiques et j'espère que cette question se suffira à elle-même en matière de captatio benevolentiae.


K. Deveureux


Fondamentalement, il apparaît que les êtres économiques se marient avec l'homo economicus.


K. Deveureux


Vendredi ou la vie sauvage est à lui seul un manuel de survie qui disqualifie avec brio toute notion qui se proposerait de rendre nécessaire l'aspect carnivore de la réplétion.


K. Deveureux


Les corps empestent des envoûtements médiévaux, les maladies deviennent contagieuses avant d'avoir été incubées, et les spectateurs se gavent de plus en plus de sucreries en dépit des atrocités qu'on leur donne à voir.


K. Deveureux


Monsieur Obama, malgré son aura de sainteté, sera tôt ou tard corrompu et esseulé par un système financier satanique.


K. Bouachiche


La mondialisation, grâce à internet, a rendu accessibles toutes les cultures. Comment donc un simple cerveau humain peut engendrer autant de connaissances du monde sans risquer une scission de personnalité ?


K. Bouachiche


Nous nous accordons à dire que la nature humaine a échoué à comprendre son identité naturelle.


K. Deveureux


L'être de raison (l'être cogitant) existe selon un schéma d'engendrement et de corruption (vie et mort se succédant). Des feuilles tombent et repoussent, des enfants naissent et parfois meurent. Les saisons ont un potentiel symbolique exacerbé : l'automne est protecteur de mélancolie alors que l'été est déclencheur de passions immodérées.


K. Deveureux


Je demande alors : faut-il vivre dans la perfection du cactus ? faut-il encombrer l'horizon de l'Arizona en se déguisant en épouvantail épineux ? Y a-t-il en fait un sens à dire que l'adaptation des végétaux est une raison de penser que notre adaptation se conjugue sur la même ligne de phénomènes ?


K. Deveureux


Pour qu'une ontologie se donne une chance de réapparaître, il est à mon avis nécessaire de l'intégrer à partir des voies naturelles.


K. Deveureux


Le pouvoir semble être la seule façon d'avoir un orgasme social.


K. Bouachiche


Il n'y a pas plus coupable qu'un innocent qui fait semblant d'avoir un alibi psychique.


K. Deveureux


Savoir consiste à se ressouvenir de ce que l'on croyait savoir.


K. Deveureux


En plein milieu de la nature hostile, faire semblant de savoir est pire qu'un mirage au désert. Là-bas, des étudiants mécontents sont des étudiants qui promettent le rétablissement du savoir par un numerus clausus découpé à la machette.


K. Deveureux


Le cuistre agit en subissant son incompétence en sourdine.


K. Deveureux


De Gaulle était moins un général qu'un vieux caniche qu'on appelait "Général".


K. Deveureux


L'incompétence sait faire au moins une chose : gérer les mécanismes de visibilité.


K. Deveureux


Tant que nous serons les plâtriers des mythologies gouvernementales, nous ne pourrons que nous raconter des histoires sur notre probable capacité de désobéissance.


K. Deveureux


Je m'interroge toujours sur cette forme technocrate de l'hypocrisie, notamment lorsque j'observe un gouvernement français durcissant ses propres lois contre l'alcool au volant alors que cette même drogue est conventionnée et taxée par l'Etat.


K. Bouachiche


L'objectif secret de notre monde est d'obtenir une fusion de nos idées et de nos actes, c'est-à-dire avoir une image saine, construite et omnisciente.


K. Bouachiche


De l'esprit naissent les idées et les dialogues, du corps naissent les actes et les revendications.


K. Bouachiche


Puisque nous devenons téléphages, nos cerveaux ne sont plus disponibles, et du même coup la réflexion est descendue dans nos organes de vision.


K. Bouachiche


Sachant que le public est soutenu par une logique de monstration, il va de soi que le privé est de plus en plus recroquevillé sur lui-même. Ce sont deux logiques très distinctes : celle de la publicité et celle des cagibis intimes.


K. Deveureux


Ce couple qui ne jouit pas, je l'appelle déjouissif.


K. Deveureux


Il est impossible de vouloir circuler de l'âme au corps en pensant accorder les deux comme on ajusterait la peau d'un tambour récalcitrant.


K. Deveureux


Je suis très tracassé à l'idée que le public horriblement télévorace se plaise à saisir des images et des sons pour en faire respectivement des icônes et des maximes.


K. Deveureux


D'un seul point de vue sémantique, la nouveauté d'un homosexuel dans la famille est contemporaine de la disparition du terme "pédé" car aucun parent ne tolèrerait la présence effective d'un pédé chez lui.


K. Deveureux


Si vous dites "Mon enfant est homosexuel", vous avez des chances de correspondre aux discours télévisuels. Cela ne signifie pas que vous êtes dans le vrai, cela signifie exclusivement que vous êtes dans le vrai que vos voisins sont prêts à accepter.


K. Deveureux


La société humaine a toujours voulu expier ses monstres par une forme de légitimité d'existence qui prend vie dans un format de "show room".


K. Bouachiche


Nous aimons donc les monstres, les créatures hybrides qui n'existent que par leur image et non par leur culture.


K. Bouachiche


L'humanitaire est un concept désuet qui plonge les populations souffrantes dans une catharsis de bons sentiments en leur signifiant chaque jour un peu plus de leurs conditions d'hommes miséreux et misérables.


K. Bouachiche


L'avenir se situe dans le partage des curiosités non exposées.


K. Bouachiche


Le génie ne peut pas prendre forme humaine trop longtemps.


K. Bouachiche


On donne aux monstres un espace désigné qui leur attribue le droit d'être des monstres, ce qui permet aux systèmes juridiques de contenir le monstrueux alors qu'ils ne le comprennent manifestement pas.


K. Deveureux


Deux têtes en un corps doivent-elles nous conduire à la thèse de deux âmes qui s'affrontent pour un même quignon de pain ?


K. Deveureux


Je ne peux cautionner un titre dualiste comme La belle et le clochard, oeuvre pathologique et terroriste des studios Disney.


K. Deveureux


La raison moderne est l'être qui fait semblant d'avoir ce qui n'est pas.


K. Deveureux












































































































































































































vendredi 17 juillet 2009

Le Ceci et le Cela.


Mon grand ami Bouachiche,

Ce retour de la fanfare au village de la réflexion est triplement bénéfique : vous amorcez une réflexion pontifiante sur la notion de monstrueux, laquelle s’accouple avec les nouveaux monstres que sont les personnalités télévisuelles fabriquées par des castings et des normes de conduite, et enfin vous faites de ces normes modernes un genre de dictature encore plus néfaste que la dictature telle que nous avons l’habitude de la fréquenter dans les livres d’histoire. Il en va alors de la santé de la pensée : comment s’orienter convenablement quand il semble évident que le bon chemin exige de la raison un éclairage plutôt qu’il ne s’annonce déjà tout éclairé ? Sur votre lancée, je déclare sans risquer l’intrépidité que la vieille rengaine des Expositions Universelles ne produit rien de véritablement pertinent, ceci dans la mesure où ce sont plutôt des attitudes commerciales qui se chevauchent au lieu d’attitudes heuristiques motivées par la curiosité. Aussi la présence d’une épice orientale sur un marché sud-américain n’a de remarquable que la capacité de maîtriser l’espace mondial. En matière d’échanges de curiosités, tout repose sur la faculté de fréquenter la curiosité sans la réduire ensuite à un processus sérigraphique. C’est pourquoi nos monstres sociaux ne sont plus particulièrement monstrueux : on leur donne un espace désigné qui leur attribue le droit d’être des monstres, ce qui permet aux systèmes judiciaires de contenir le monstrueux alors qu’ils ne le comprennent manifestement pas.
Outre cela, la vraie qualité du monstre repose sur sa capacité à être un produit de la nature alors qu’on le dit surnaturel et difforme. Je connais le succès considérable de ces émissions voyeuristes qui épient le quotidien de quelques siamois. Le cas des êtres bicéphales est selon moi un exemple de somatisation de ce dualisme rationnel contre lequel je me bats depuis des années. Deux têtes en un corps doivent-elles nous conduire à la thèse de deux âmes qui s’affrontent pour un même quignon de pain ? Ces demandes grotesques se dirigent vers un autre genre de question ridicule : l’être bicéphale doit-il être baptisé deux fois ? Peut-on envisager le mariage sans risquer le threesome qu’on connaît en France sous le nom de triolisme ? Pire encore : est-ce que la participation de ces siamois à un jeu de culture générale peut-elle être envisagée comme un acte de tricherie à qui n’a que sa tête pour banque de données ? Si le siamois est donc mieux accepté par le regard scrutateur des somnambules chômeurs qui s’avachissent des nuits durant devant la télévision, il n’en reste pas moins que le siamois devient non plus monstrueux en tant qu’être de chair mais monstrueux en tant que contournement des attitudes ludiques. A ce titre, je n’ose imaginer quels seraient les commentaires si des frères siamois devaient un jour s’adonner à la passion du football. Ceux-ci auraient deux fois plus de chance de marquer de la tête, ce qui bouleverserait le métier des statistiques aussi bien que la façon d’appréhender le commentaire des gestes techniques.
Dès lors, même si G. Canguilhem disait du monstre qu’il est un « vivant de valeur négative » (cf. La connaissance de la vie), je crois néanmoins que le monstre représente davantage un être de providence qui supprime les tentations dualistes des naturalistes en supposant un retour à la création naturelle en tant que totalité inexplorable. La prétention de la raison à se substituer aux problèmes épineux de la connaissance me paraît un homicide de la pensée au détriment d’une activité maîtrisée de la connaissance. J’entends par maîtrise de la connaissance deux critères inévitables : 1. La nécessité de ne pas se disperser dans la recherche en acceptant de laisser à qui de droit le travail en certains domaines – sur les hommes à deux têtes, le médecin aura plus de compétences que le chômeur voyeur avide de se remplir d’images alors qu’il ferait mieux de fortifier les significations de son voyeurisme inutile (ceci n’est que le mauvais côté du « divertissement » de ceux qui trouvent à se divertir de n’importe quoi en demeurant des n’importe qui). 2. Faire de la curiosité non pas une fédération de toutes les connaissances mais bien une alimentation du dialogue entre interlocuteurs statistiquement complémentaires – je ne peux ici cautionner un titre dualiste comme La belle et le clochard, œuvre pathologique et terroriste des studios Disney (aucune belle n’est jamais tombée amoureuse d’un clochard et cela n’arrivera jamais au vu des normes qui régulent la société). L’aboutissement de la connaissance maîtrisée consisterait en une sorte de connaissance sophrologique où la raison, au pinacle de son exercice, accepterait de reculer en s’apercevant qu’elle s’immisce sur des territoires qui ne sont pas réels mais créés de toutes pièces par elle à la seule fin de se donner l’illusion qu’un espace théorique saura résoudre les maladies de l’espace expérimental. C’est en ce sens que le chômeur, à l’instar de l’étudiant de basse-cour, ne peut pas dire qu’il a compris la mécanique quantique. La connaissance est le prix d’un effort et cet effort fait se distinguer la connaissance des opinions, et partant les lieux de savoir des bistrots. En suivant cette schématisation novatrice, j’aurais tendance à dire que la curiosité devient l’alliée de la connaissance maîtrisée entre le bistrot et les lieux de savoir, soit entre le moment où le chômeur décide de quitter le bistrot pour se remettre dans le droit chemin qui le conduira probablement au lieu de savoir s’il décide de ne pas se retourner comme l’avait fait cet abruti d’Orphée. Au final, il y a ceux qui savent parler parce qu’ils savent de quoi il en retourne et ceux qui parlent pour ne rien dire parce qu’ils ne savent même pas de quoi ils ont commencé à parler alors même qu’ils achèvent une phrase syntaxiquement infirme.
Face au dualisme rationnel, je suis donc pour un parallélisme où l’être d’une chose se dit en deux occurrences : selon les attributs du monde observable et selon les attributs de la pensée. Les choses existent d’abord dans l’expérience avant de se formuler dans la pensée. Au mieux la pensée extirpe une chose avant de la replacer parmi le règne des êtres, c’est-à-dire là où elle est censée vivre. Les dualistes, eux, se plaisent à parler de choses qu’ils extirpent de leur raison même en allant parfois jusqu’à les inoculer dans le monde (sur ce point, le discours de Ratisbonne de Benoît XVI pouvait tenir sa place bien que la position papale soit à ce sujet inepte). De cette rationalité maladive émergent des comportements paranoïaques ainsi que des rejets ethniques tout à fait répréhensibles. La raison n’est qu’un outil et nous ne devons pas en faire un tournevis cruciforme qui s’adjugerait le droit de faire du monde une forme appropriée à son usage. La raison est, dans le meilleur des cas, un atout d’explication comme la botte du Mille Bornes. L’as du volant n’aura pas d’accidents de parcours, cependant il ne comprendra pas pourquoi d’autres continueront d’avoir des accidents. Si bien que la raison demeure un accident de l’esprit à l’image du génie qui s’annonce comme accident des masses. Michael Jackson, conformément à cela, incarnait la grandeur du paradoxe : était-il ceci plutôt que cela ? On a vu alors que les raisons dualistes ont voulu penser Michael Jackson sur le plan de l’être et du non-être, faisant alors du Ceci une transformation en Cela. Ces égarements de la pensée ne mettent en exergue qu’une impuissance de penser ce qui n’entre pas dans les schémas cotonneux de la raison. Si M. Merrick disait déjà dans Elephant Man « I’m just a man », si M. Jackson l’a répété en chanson, c’est que la raison humaine, si puissante soit-elle, si compétente qu’elle soit en matière d’endocrinologie, n’a pas la faculté de penser une phrase aussi simple que « I’m just a man ». Ceci fait que nos courriers, depuis le début, ont certainement été corrompus par des esprits de faible envergure. C'est que la raison n'est pas différente des caprices : elle veut plus que ce qu'elle a à sa disposition et parfois même elle veut quand elle ne peut techniquement avoir. Par conséquent la raison moderne est l'être qui fait semblant d'avoir ce qui n'est pas.

Bien à vous cher professeur Bouachiche,


K. Deveureux.

Monster market.


Mon regretté Konstantinos,

Je déclare mon amitié en ces termes car les fins d’année universitaire me laissent amer… Ce défilé de volailles aux têtes creuses que l’on indexe du mot d’étudiant me rend cynique et méchant. Mais que voulez-vous ? La gentillesse n’a jamais mené les grandes armées à la victoire. Je ne m’assigne pas pour autant d’un auto militarisme rigide et stérile. Je recommande davantage un discours ironique qui pointe les faiblesses et bêtises de nos aspirants gallinacés. Cette fin d’année scolaire, que je compare à l’excellent film de monsieur Jacques T., n’est donc qu’une parade qui n’a d’égal que le marché aux monstres des fêtes foraines. Et tout cela m’a amené à réfléchir sur les derniers événements en date du mois de juin…
Notre société contemporaine exhibe-t-elle encore ses phénomènes de foire tout en annexant un léger sentiment de honte ? De toutes les conversations banales que l’on peut recueillir dans des lieux publics, l’indignation de montrer et de surexposer des monstres est systématiquement de mise mais, sitôt les talons retournés, ces faces de poulpe s’empressent de s’acquitter du prix du billet pour entrer dans cette galerie de bizarreries éléphantesques. Ce genre de procédé serait-il un dérivatif à notre besoin irréductible de parfaire notre image de marque ? Est-ce là une véritable soupape de décompression de cette « dualité capillaire » dont nous parlions il y a peu ? Je suis perplexe. La société humaine a toujours voulu expier ses monstres par une forme de légitimité d’existence qui prend vie dans ce format de « show room ». Les choses ont bien changé et nous avons dû nous adapter. Impossible dès lors de croire encore à la femme sirène voire à l’enfant loup lorsque nous possédons des technologies de pointe.
Tout ceci est devenu obsolète avec la télévision et internet. Il a fallu donc pallier à ce manque par un système encore plus dégradant pour l’intelligence humaine : je veux bien sûr parler de la télé-réalité. Les personnalités révélées par ce genre de programme nous laissent rêveurs. Je n’ai nullement besoin de citer le nom d’une d’entre elles. Tous les parcours sont les mêmes : des gens castés et caricaturés qui n’ont de réels que les litres de silicone implantés dans le corps… Nous aimons donc les monstres, les créatures hybrides qui n’existent que par leur image et non par leur culture. Nous avons besoin d’eux pour rendre supportable notre existence quotidienne et routinière dénuée de tout sens. Ils sont notre garantie pour une vie plus légère sans laquelle elle serait asphyxiante et insoutenable. Je parle bien évidemment pour les civilisations des pays les plus riches. Il existe donc un autre cas de figure. Mais quel est-il ? Comment rendre la vie supportable quant de tels programmes sont interdits ? Eh bien il nous reste la dictature. Celle-ci est une chape de plomb qui permet non pas de relativiser sur notre misérable existence par des programmes télés stupides mais de « survivre » dans un milieu plus ou moins hostile. Et là l’Iran est un exemple des plus parfaits.
On pense qu’il y a eu manipulation des votes mais, même si c’était le cas, n’est-ce pas bénéfique à une nation quelque peu fragile ? Il est clair qu’au moment où la population prendra conscience de son état végétatif, alors elle se relèvera et prendra le contrôle. Mais pour l’instant cela semble trop tôt. L’Irak est un cas des plus intéressants. Là-bas le peuple ne s’est pas soulevé, on l’a assisté. Faites le constat mon cher collègue : voyez comme le pays est dévasté, il est immergé dans un trouble qu’aucun des protagonistes ne peut comprendre. Arrêtons l’assistanat !!! Mais que croyons-nous ? Que nous sommes les bons pères du monde ? Que nous prodiguons bons conseils et bon sens ? Le concept du bon samaritain n’est que du prêchi-prêcha de religieux bigots qui, coupés du monde, appliquent des principes obsolètes en total désaccord avec l’environnement géopolitique. Et j’omets volontairement de parler de monsieur B. XVI. Cela conduit inexorablement à la catastrophe sociale. L’humanitaire est un concept désuet qui plonge les populations souffrantes dans une catharsis de bons sentiments en leur signifiant chaque jour un peu plus de leurs conditions d’hommes miséreux et misérables. Et je ne peux que m’insurger, face à ce mondialisme corrupteur qui défend un système d’aide dédaigneux et snob ! Arrêtons de croire, je vous prie, que nous avons un ascendant sur certaines populations. Cet esprit de colonialisme a même poussé certaines tribus de Papouasie à l’extinction comme si finalement c’était une « espèce en voie de disparition ». Je vous en supplie, et ce cas de figure est rare pour ma part, allons dans le sens contraire, soyons curieux et apprenons de ces peuplades qui connaissent la préservation et l’économie de la nature. Ils n’ont pas besoin de dérivatifs et si leurs conditions de vie sont difficiles, cela n’est dû qu’aux promoteurs avides de pouvoir et d’argent qui dénaturent leur environnement et leur savoir-faire. L’avenir se situe dans le partage des curiosités non exposées.
Je ne parlerai pas ici du cas de ce célèbre chanteur Mickael J. car, comme vous l’avez si bien dit, le génie ne peut pas prendre forme humaine trop longtemps.

Sincères condoléances,

K.B

jeudi 9 juillet 2009

Annonce de M. Bouachiche et M. Deveureux.


Ne doutant pas de l'assiduité de notre comité de lecture, nous publions cette annonce dans l'optique de nous excuser pour notre absence durant les dernières semaines pourtant très chargées du point de vue théorique. Nous avons respectivement dû accomplir les activités universitaires afférentes à nos fonctions, ce qui nous a maintenus hors les murs de cet espace réservé aux amateurs de relations épistolaires. Le travail de l'Université, qu'il se situe dans un haut lieu de la culture tunisienne ou dans la péninsule arabique, nous a paru devoir se faire dans les meilleurs délais au vu de la situation de l'enseignement supérieur en ce moment. M. Bouachiche, fort préoccupé par cette tendance à dévaloriser l'Université, s'est attaché à formuler des solutions de repli quant à la mort prétendue de l'enseignement universitaire traditionnel. C'est ainsi que le nouveau Centre Universitaire Méditerranéen, mené par Khalid Bouachiche et plusieurs de ses collègues dont le professeur Alejandro Sassus, a organisé une série de conférences au sujet du corps universitaire en général et des maladies de celui-ci en particulier. De son côté, M. Deveureux a été contraint de participer aux festivités pédantes en marge de l'emploi du temps destiné à l'agrégation de philosophie, diplôme sur lequel Konstantinos Devereux tient à conserver une position ambivalente.

Ces sommes de travail, non référées aux objets corollaires incriminés, ont de ce fait retardé la réflexion de messieurs Bouachiche et Deveureux. Ils font néanmoins savoir que les grands sujets du mois de juin ne seront pas oubliés en dépit de ces délais regrettables, à savoir la situation démoralisante de l'Iran et la disparition de Michael "the king of pop" Jackson.


Nos sentiments les meilleurs.