lundi 7 février 2011

Anesthésie locale.


Mon cher ami,


Prendre la plume, en ces temps de contestation politique, devient un véritable acte de souffrance morale. Évidemment, nul n’a besoin de prononcer mot pour comprendre mon état d’esprit actuel. Il m’est assez pénible d’analyser la géopolitique de mon pays. Ces événements résonnent en moi comme une corde de violon qui vibre trop vite, émettant ainsi un son saturé difficile à supporter. Je condamne dans cette histoire la mise en scène de médias charognards qui, tels des succubes de l’humanité, se délectent du sang et de la souffrance sous le prétexte insidieux du droit à l’information. Je n’incrimine pas ici les fourmis ouvrières des médias, mais les populaces faméliques qui ne sucent que les cailloux des images sanglantes en se persuadant d'avoir compris toutes les occurrences de façon résolue.

Je suis meurtri et en colère. L’affranchissement n’est jamais simple. Notre vision des événements est toujours réductrice car elle est seulement factuelle. Nous n’avons pas suffisamment étudié les écrits d’Ibn Khaldoun ; comme lui, à la mort de notre mère patrie, nous devons nous enfermer dans nos salles d’études afin de réaliser notre propre «asabiyya ». Le décès culturel de notre pays est déjà prononcé depuis longtemps. Nous errons quelque part entre la culture musulmane, sorte d’institution cultuelle qui fait demeurer notre territoire dans un passé illusoire et utopique, puis entre la culture mondiale de l’argent qui nous entraîne sur les pas du capital, ce capital qui a perdu depuis trop longtemps son visage d’humanité. Sans évoquer notre attente perpétuelle du messie occidental, nous devons nous prosterner dans le silence, nous devons nous taire, et nous devons écouter les exemples du passé. Une fois ces trois étapes révolues, nous proposerons un schéma sociétal nouveau, débarrassé de toute jalousie capitaliste. Je parle de jalousie du capital dès l’instant où l’évolution d’une population est régie par un désir démesuré de consommation active. Ce soulèvement populaire n’est pas la conséquence de revendications sérieuses mais d’un avide besoin de consommer. La « révolution du jasmin » n'est rien de plus que le symbole des soldes chez Harrods.


Un autre point est à noter : la mise en jachère des territoires d’Afrique du Nord par un colonialisme latent a toujours été un fer de lance des états européens. Pardonnez-moi mon manque de structure, je suis confus dans mes propos car la distanciation est impossible, mon émoi se concentre comme un tsunami et il envahit toute ma clairvoyance des faits d’armes.

Est-il nécessaire de nous en remettre à un gouvernement ? Devons-nous écarter toute possibilité de démocratie dans le sens premier du terme ? Un choix est à faire. Un virage est à prendre. Le genre humain est aux prises avec ses deux principaux démons que sont la religion et le diktat. La Tunisie a fait un choix. Le régime impérialiste reste pourtant presque toujours une situation confortable. Nous n’avons pas à affronter le néant de nos vies lorsque nous nous en remettons à Dieu dans les deux sens du terme. Il ne s’agit pas ici de prendre en considération les conséquences libertaires d’une telle gouvernance mais de faire davantage un focus sur la condition des citoyens tunisiens. Il est facile de croire que notre futur réside dans la spéculation religieuse. Un Dieu part, un autre arrive. Que devons-nous en conclure ? Que l’homme ne possède aucune capacité de cohésion et d’organisation sans un « Tâghoût » ? Qu’il est nécessaire de généraliser les populations ? J’entends par «généraliser » le fait d’annihiler l’individualité au profit d’une nation ou d’une religion. L’Asabiyya a perdu de son sens dès l’instant où l’homme a cherché à généraliser la réflexion et l’intelligence. Une population ne peut pas s’en remettre totalement à une seule autorité sous le prétexte fallacieux de la cohésion.

Je défends une organisation locale, une échelle humaine, où la tentation de la dispersion par le profit est impossible. Nous devons lutter contre toute forme de holisme sociologique. Le soulèvement populaire est souvent dangereux, il mène vers une confiance aveugle dans la force du« on » que nous avons souvent dénoncée ici. Que faire avec notre pays en friche ? Proposer une « movida cultuelle » ? Dans notre temps présent, la dictature ne peut laisser place qu’à un extrémisme religieux. La nature humaine a peur du vide. Moi, au contraire, je revendique l’idée d’une société fondée sur une économie et une culturalité régionales où chaque citoyen aurait la possibilité de prendre tour à tour le rôle de décisionnaire politique et le rôle de simple citoyen. Le turn-over doit être court, pas plus d'une année ; l'organisation locale se doit d'être à taille humaine, elle se doit de connaître son prochain. Pour assurer un renouvellement des pensées, le groupe doit être mixte, il doit y avoir une hétérogénéité parfaite. Chaque membre sera contraint tous les dix ans de changer de région pendant une durée de quelques semaines afin de ne pas souffrir de l'isolement culturel. L'économie se devra d'être échelonnée sur la somme des besoins du groupe, une énergie suffisante pour tous et des taxes pour le surplus calorifique. Nous savons que le capital s’est affranchi des politiques. Nous savons que ces mêmes politiques, ne pouvant gérer le PIB de leur pays, tentent d’asservir la seule chose sur laquelle ils ont encore de l’influence, c’est-à-dire l’homme. À l’heure actuelle, il est impossible pour les pays du Maghreb de croire au rêve fou d’une égalité de société avec les pays européens. Je le réaffirme, il faut la mort de dizaines d’hommes colorés pour maintenir le train de vie d’un seul homme blanc. Que les Tunisiens, les Algériens et les Égyptiens se rassurent, l’avènement d’une autre gouvernance ne changera rien à leurs destinées miséreuses.


Acidement vôtre


K.B

2 commentaires:

Gabriel a dit…

Excellent texte!

Messieurs Bouachiche / Deveureux. a dit…

Merci de votre attention.

Amitiés,

K. Bouachiche.