dimanche 3 avril 2011

Politiques individuelle, siamoise, et capsulaire.


Mon cher Khalid Bouachiche,


Quand je contemple la végétation qui amorce son retour printanier, je me dis, comme vous, que peu d’hommes de notre époque sont encore capables de maintenir un projet de vie aussi ferme que l’intrépidité de la sève. On présente d’ordinaire la liberté humaine comme une distinction de praxis par rapport aux mouvements naturels qui composent l’univers. Ce que je peux faire, je peux d’abord le méditer ; or la nature ne médite rien, elle accomplit le projet de son élan vital tant que nous ne l’entravons pas. La séquence causale de la nature, en ce sens, représente le principe d’un continuum dont la persévérance s’établit selon le bien-être de l’environnement. En d’autres termes, la nature ne fait rien de trop. La forme que je distingue dans le nuage n’est que l’extrapolation de mon esprit ; il se pourrait donc que ce nuage, à l’instant où il se déploie en volutes géométriques variables, signifie quelque chose que mon intellect ne pourra jamais intégrer dans sa rationalité.

La liberté humaine se présente donc comme la possibilité de mettre un terme au mouvement naturel de notre « autre », bref de toute cette pulsion vitale qui ne fréquente pas notre front, notre poitrine et notre bas-ventre. Nous pouvons construire un moulin au bord d’une rivière ; mais nous pouvons aussi empoisonner les fleurs du voisin s’il prévoit de les offrir à la femme que nous convoitons et que de toute évidence il courtise de son propre chef. Cette sédimentation de la liberté en plusieurs cellules intentionnelles d'un même genre ne cesse de se perdre en chemin. Nous ne faisons plus rien pour notre bien parce que nous supposons que faire le mal nous apportera des biens véritables. En effet, il est logique de penser que la multiplication du mal ne pourra que nous aider à mieux identifier les restes de bien ou, si l’on préfère, les ultimes aspérités du bonheur.


La démocratie représentative que vous avez critiquée fonctionne exactement selon ce schéma : je dis d’abord tout le mal que je pense des gens qui sont mes concurrents avant de réfléchir mon propos réel, lequel se fondra dans la mascarade que vous avez si bien mise en scène (autrement dit : c’est l’idée même du bonheur qui est théâtralisée par l’homme politique qui s’imagine détenir la meilleure définition hédoniste du moment). Un candidat sera charismatique à condition d’avoir puissamment dénigré ses adversaires. L’objectif d’une campagne électorale, nous le savons, c’est d’aborder les grands problèmes en les épuisant de sorte à ce que l’herbe de la discussion ne puisse plus y repousser. Ces postures irrationnelles fonctionnent d’une part parce que le charisme est un argument évanescent qu’on ne peut pas mesurer, et d’autre part parce qu’il est malsain de vouloir maîtriser les thèmes d’un débat comme jadis on espérait devenir maîtres et possesseurs de la nature. Disons que la vieille figure de Descartes n’est jamais loin, sauf qu’on l’utilise assez faiblement. Reformuler sa rationalité pour mieux chercher la vérité dans les sciences, je suis d’accord, et je le suis d’autant plus si l’on se consacre ensuite à l’adoption d’une morale provisoire qui nous permettra, entre autres, de ne pas vouloir commencer par modifier l’état du monde sans que nous ne soyons certains de bénéficier d’une raison suffisamment armée et délicate pour y parvenir.

Ramené au problème que vous mettiez en exergue, ceci nous apprend que les démocraties représentatives sont peuplées de candidats politiques qui n’ont rien compris à la nature raisonnable de l’esprit, et ceci confirme que les personnages néo-totalitaires que sont Khadafi et Gbagbo illustrent à merveille les déviations fatales d’une morale dictée par le désir d’indiquer à la nature ce qu’elle doit faire. Je pars du principe qu’une masse d’individus qui fait peuple est un petit cosmos improvisé que l’on doit prendre au sérieux. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas exiger de la masse qu’elle suive les lubies d’un seul être – l’homme politique doit immédiatement cesser de parler selon la théorie véritative du langage où tout ce qui s’énonce existe dès lors que c’est prononcé (l'Université française a beaucoup souffert de la véritativité linguistique de Mme. Précresse).


Partant de là, nous devons impérativement lutter contre la condensation du pouvoir. Pour ce faire, je propose une démocratie représentative qui élirait non plus un président mais un groupe de présidents. L’application de cette mesure n’est pas aussi complexe qu’elle n’en a l’air. Chaque parti politique pourrait présenter par exemple un groupe de cinq personnes, en l’occurrence cinq parties formant un tout que j’appellerais « capsule présidentielle ». Idéalement, les cinq parties de la capsule fonctionneraient de manière collective mais pour les besoins du corps nécessairement autonome de la capsule présidentielle. Cinq pilotes dans un même navire, cinq âmes dans un corps cinq fois plus raisonnable en principe. À cela s’ajoute évidement des « capsules ministérielles », et puis des capsules plus restreintes – mettons un binôme pour les mairies, les conseils généraux, les députations etc.

Nous pourrions par conséquent réformer tout le système gangréné des adjoints, des secrétaires de cabinet, des conseillers politiques, bref toutes ces instances qui court-circuitent la décision en divisant la discussion en plusieurs endroits où les gens ne peuvent pas s’entendre les uns les autres puisqu’ils sont effectivement à des lieux différents. Ceci signifie deux choses : 1. Que les capsules ont le devoir de chaque fois discuter ensemble des problèmes, ne serait-ce que parce qu'une capsule incomplète cesse d'être une capsule. 2. Que les adjoints, conseillers, secrétaires particuliers etc. ont le devoir de faire eux-mêmes capsules afin de fluidifier la communication entre les voix d’un même parti. On pourrait donc parler, à terme, de conception synaptique de la représentation politique : un cerveau politique en santé composé de plusieurs capsules identifiées qui communiquement bien entre elles.


Le peuple est inquiet et je le comprends. On lui demande de voter pour un candidat de plus en plus messianique compte tenu de la fragmentation des informations - l'état actuel du monde est dans l'expectative d'une ribambelle de Jésus, et ceci pour notre plus grande calamité. Ma théorie des capsules politiques, en mettant par exemple cinq visages souriants sur une affiche électorale, a de quoi réhabiliter le processus de la démocratie représentative. Ce serait une belle façon d’appliquer le multiculturalisme que l’on juge déficient.


Outre cela, la distribution du blâme et de l’éloge n’en serait que plus appropriée. Si une mauvaise décision politique à été prise par une capsule présidentielle et/ou locale, ou autre encore, la punition s’envisage non plus selon le fantasme du lynchage électoral mais sous l’angle du débat public. Un esprit mal tourné m’objecterait que c’est de la politique siamoise. Peut-être, mais personne ne viendra me reprocher de vouloir appliquer une politique redistributive quant à la manière d’éprouver les choix des différents élus. La division de la responsabilité dans toutes les parties d’une capsule devrait en principe favoriser la prise collective de conscience, et par là même pondérer les décisions les plus farfelues. D’autre part, pourquoi est-ce qu’une décision politique en démocratie représentative semble presque toujours mauvaise ? Parce que la décision d’un seul est par essence trop inconcevable par la masse d'une population qui sait maintenant manipuler les outils communicationnels de base. La simplicité de ce constat milite d’elle-même pour l’installation du système capsulaire.


Mes salutations cordiales,


K. Deveureux.

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