vendredi 12 février 2010

Le nazisme est un humanisme.


Cher professeur Bouachiche,

Peu d’esprits s’affirmeront contre votre parole à moins qu’ils ne soient pas vraiment compétents dans la connaissance du monde contemporain. Certains socialistes ont d’ailleurs bien de la peine à poursuivre des actions altruistes parce qu’ils agissent en confondant la logique du parti et les besoins naturels, ou du moins ils font semblant d’être confus à ce sujet. On observe donc ce décalage sur l’île d’Haïti : les nations en santé viennent secourir un pays malade pour la raison que des causes naturelles se transforment en pathologies raisonnées, les puissances économiques ignorant de plus belle la réalité du mal qui continue d’affaiblir ce coin d’Atlantique (il s’agit d’une ignorance volontaire qui modifie un phénomène naturel imprévisible en l’aménageant en programme d’éthique organisé, étagé, rationalisé). Placer un séisme au sommet de la hiérarchie des maladies nationales est une stratégie d’épargne. Comme la paupérisation par les circuits économiques est régulière en comparaison des tremblements de terre, on surexploite l’occasion en éclipsant les véritables erreurs morales – on fabrique littéralement plusieurs éclipses médiatiques, étirant le phénomène à son potentiel maximum, c'est-à-dire par la publicité des concerts de charité où l’homme blanc vient davantage pour écouter de la musique que pour se soucier en plein du problème; en outre on attire du monde, me semble-t-il, par des procédés d’attraction plutôt que par des procédés de répulsion, ce qui ne fait que confirmer l’hypocrisie de ces manifestations. Ainsi l’argent injecté dans le sinistre haïtien se redistribuera en dettes diverses à l’égard des secouristes parce que la morale représente un crédit infini quand les débiteurs n’ont pas d’autre choix que de la voir venir. La catastrophe naturelle est une aubaine pour se détacher d’autres viscosités naturelles. Les criminels, après tout, ont le droit de se louer un petit moment de conscience.
Sans forme d’ambiguïté, conformément à cela, je crois que le nazisme était un meilleur humanisme. En supposant que les directives du IIIème Reich auraient pu arriver au bout de leur projet, on doit alors concevoir que l’idéologie aurait disparu en même temps que le dernier Juif. La logique d’exécution, en tant que processus, ne pouvait s’écarter des principes qui la faisaient fonctionner. Les ordres aboutissaient aux règles, lesquelles n’étaient pas en mesure de quitter la rectitude. D’autres devaient donc s’attaquer à ce bastion d’exécution massive pour espérer inverser les tendances assassines qui ruinaient la généalogie de certains peuples opprimés. Des coalitions ont alors émergé et dès lors que la cible nazie a été intégralement identifiée, il a été relativement simple d’étouffer le Léviathan et d’en récupérer la tête pour en faire un trophée de guerre.
Le nouveau nazisme, que je ne veux pas appeler un fascisme, est beaucoup plus puissant en ceci qu’il possède plusieurs corps, sans parler de ses aspirations indéfinies. À certains égards, si l’on admet plusieurs corps, l’on doit admettre plusieurs vies ainsi que des capacités régénératives. La technique consiste à se passer le témoin de la responsabilité discrètement, puis à profiter des opportunités telles que les catastrophes afin d’atténuer la violence souterraine de ce qui s’accomplit sur la surface défigurée. Car la multiplicité des corps réduit la possibilité des déguisements, ce qui fait que de grosses occasions fournissent une gamme importante de costumes qu’il faut tout de suite enfiler. D’autre part, la médiatisation, alimentée par les dérives du Web qui connecte le monde le jour et la nuit comme vous le soulignez, ne laisse aucune place à l’alternative, au contre-courant, à la perspective d’un dégonflement de la bien-pensance. Le Web agrège des communautés d’opinions qui ne tolèrent pas la présence d’opinions contradictoires – le forum recense les éloges d’une star du cinéma et bannit ceux qui s’inscrivent pour remettre en question l’objet d’une pareille adulation, Facebook fragmente le dialogue en présentant des milliers de groupes qui s’invectivent les uns les autres dans l’optique d’une acquisition de reconnaissance virtuelle faute de pouvoir disposer des moyens et de la force nécessaires à la possibilité d’une action réelle, Wikipédia se vante de mettre la connaissance à portée de tous et l’on cache les insuffisances de ce média en nourrissant l’argument simpliste de la culture qui doit être accessible au plus grand nombre etc.
L’arrogance générale qui règne sur le Web est à mon avis un trait caractéristique du petit nazi qui s’exprime dans chaque cervelle dont la journée est qualifiée de réussie à condition qu’un territoire ait été marqué. Toute société de pouvoirs recréée virtuellement signifie l’odeur du chenil, en l’occurrence la confusion des caniches nains qui aboient à la face des caniches royaux que quelques valets auront parfois équipés d’échasses.
En m’attardant sporadiquement sur les espaces de discussion (auxquels je ne participe pas étant donné que je n’ai que la volonté du témoignage), je m’étonne de ce que l’Humanité compte autant de génies proclamés que la société a passablement écartés de son circuit d’influence. Ces personnages ont d’ailleurs des fréquences de participation éblouissantes, à croire qu’ils travaillent davantage à la construction d’un territoire qu’à l’établissement d’une situation d’interlocution, maçons de la réputation et célibataires de la société qui leur a prétendument refusé un permis de se construire. On les repère facilement car ils ont tous une petite cour de fidèles, de courtisanes et de mignons. Ils sont environ une dizaine par forum à refaire le monde de la physique quantique, à critiquer les décisions politiques, et certains vont même jusqu’à pousser la supercherie en se disant « cartésiens », « goethéens », « aristotéliciens »… et même « herméneutes » ! En creusant un peu, on s’aperçoit que ce sont des cuistres, des frustrés et bien souvent des paresseux qui s’intronisent Président, Professeur ou Grand Maître de Culture, le tout en étant dépourvus des attributs minimums, soit de la volonté de se démarquer ailleurs que derrière son écran d’ordinateur.
C’est pourquoi je me méfie des nouvelles technologies. Comme vous l’avez déjà démontré, mon cher Bouachiche, la profusion des informations additionnée à l’illusion que l’on peut maîtriser l’ensemble de ces divers contenus engendre une schizophrénie mentale des plus dangereuses. Les nazis contemporains n’ont pas de cible, ils veulent tout. Mademoiselle P. qui voulait tant réussir son diplôme ridicule de professeur de la petite école vu qu’elle se figurait que cela la conduirait à son Tout, le tout en se persuadant que ses échecs étaient causés par des présences humaines, a décidé souverainement de supprimer l’existence de tout individu susceptible de lui nuire dans cette entreprise, opérant une classification binaire entre l’estimable et le négligeable, entre l’opportun et l’inutile, entre le comestible et le vénéneux – l’image alimentaire, au demeurant, me paraît plus juste. Il ne lui faudra pas s'étonner de mourir d'un cancer de l'estomac qui se généralisera à l'intestin.
La compétition des concours, entre autres, entraîne la détestation d’autrui bien que certains gardent la lucidité de ne pas se cautionner en tant que lieutenants du meurtre d’autrui. Un allocide n’est pas contraire à la raison quand on peut s’éviter une peine certaine. Et la raison, hypocrite, reviendra à la charge dès qu’elle sentira le cadavre d’autrui pourrir, inquiète du silence, voyant qu’elle n’est rien sans l’autre qui peut seul lui dire qu’aujourd’hui, par exemple, « tu es bien belle avec ta robe malgré ton caractère de petite connasse prétentieuse et sans charisme ». C’est la raison pour laquelle mademoiselle P. et ses clones, tellement nombreux, mériteraient la peine de mort, sous le chef d’accusation principal de nazisme auto-normatif. J’appelle nazisme auto-normatif une imprégnation de la conscience qui finit par appliquer au monde des volontés non discutées, à savoir des volontés qui exigent des exceptions de la nature pour elles seules.
Or les nouvelles technologies, si rapides et si véloces pour nous procurer ce que l’on veut, déforment la lenteur constitutive des existences en formation. Il faut apprendre à devenir quelqu’un plutôt que d’essayer d’être quelqu’un en supprimant les contraintes. La liberté, concept si élastique, ne veut rien dire si c’est pour en faire un usage de bohémien. Tout aspirant au voyage ferait donc mieux de savoir voyager en sa rue avant de prétendre conquérir des territoires dont il n’a qu’une idée théorique.

Bien à vous,

K. Deveureux

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