vendredi 15 octobre 2010

Sur une vague contestation lycéenne.


Nous avons à dire des choses sur l’émergence des lycéens dans les conflits sociaux. Ce sont à notre avis des fous qui ne savent pas ce qu’ils font. Comment des raisons qui ne sont pas encore adultes peuvent préférer les vociférations urbaines à la chance d’apprendre à connaître ? L’accessibilité à l’école, en dépit des contenus scolaires qui dépérissent, doit être préférable à une revendication qui touche de très loin l’état de nature des adolescents anté-bacheliers. Le lycéen ne comprend guère que les fonctionnaires ne feront plus jamais une grève générale parce que le système est quand même trop bon pour qu’on veuille le réformer à la proportionnelle des revendications. Autrement dit, plus on met de la voix, moins on agit. Le sens même de la grève reconductible dilue la possibilité d’une grève continuée. Les lycéens deviennent alors une caution épistémologique pour des grévistes mous : en descendant battre le pavé, ils déraisonnent à la place de ceux qui devraient les raisonner, et du même coup ils infligent à la grève un coefficient d’action que les fonctionnaires approuvent à distance. Les uns risquent de saccager une fois de plus leur année scolaire quand les autres leur diront que les examens doivent quand même être soutenus. On sait pertinemment que le professeur rebelle finira toujours par revenir à son lieu naturel. Il en est de même pour les étudiants chevelus qui font mine de se rebeller : comme ils sont en dernière année de licence ou vaguement agrégatifs, on leur suppose malgré tout un degré de fayotage qui ruine leurs intentions phénoménales. Toute grève, ainsi, exténue sa phénoménalité en espérant dissimuler un maximum de temps son essence ou, si l’on préfère, sa nature. Le gréviste moderne n’est rien d’autre que le meilleur rempart du système. Et le lycéen qui fomente les réunions publiques en tapotant sur son I-Phone insulte le gréviste potentiel qui travaille sans avoir les moyens de socialiser à travers des expédients technologiques. En outre, toute technologie, dans les grèves, fonctionne à l’instar d’un détour, d’une mise à distance, bref d’un retardement de l’action véritable qui agira comme condition nécessaire et suffisante d’une crédibilité de la revendication. Ces opinions qui ne prétendent pas être pleines de savoir constituent une relative sympathie pour Jean-Luc Mélenchon, à ceci près que nous ne faisons que citer un nom de commodité pour un avis qui soutient quelque chose de radicalement nouveau : la politique du savoir apprendre à vivre autrement que comme un réagissant.


Le lycéen incarne la déclinaison aggravée du gréviste réactif. Nous n’avons dans les rues que des réactifs amorphes. Comment peut-on croire à des gens qui se plaignent et qui finissent par retourner travailler, le tout de façon cyclique, presque liturgique ? L’actif, au sens nietzschéen, aurait sans aucun doute fait ses valises pour tester son hypothèse ailleurs. L’actif n’a pas besoin d’un syndicat qui, de toute manière, réagit pour mieux prendre le contrôle des grèves. Les syndicats étouffent la puissance d’action des gens concernés. Ils entravent l’élargissement de la réflexion en cantonnant les exceptions sociales à des schémas narratifs trop généralisés. Or si l’exception devient le général, les lois du marché peuvent se réajuster sans peine. Au contraire, si nous avions des grèves spontanées, dé-syndicalisées, nous serions alors en mesure d’éprouver une politique dans ce qu’elle a de plus fragilisé, à savoir sa faculté d’improviser. En France la grève est un calendrier prévisible avec ses années bissextiles. Pas de quoi s’inquiéter.


Le lycéen, aussi curieux que cela paraîtra au lecteur, est prêt à ensanglanter la rue de ses plaies multiples, à se solidariser à l’ouvrier, mais une fois que le temps officiel de l’orientation viendra, il délaissera le monde ouvrier pour espérer secrètement (voire ostensiblement) rejoindre le monde si décrié de la fonction publique. En admettant que la fonction publique ait été dégradée par les décisions du gouvernement, comment expliquer la force d’attraction que ces secteurs exercent toujours ? Pourquoi les concours de recrutement de l’enseignement rencontrent-ils un succès infaillible malgré les critiques insatiables ? Il doit y avoir dans les coulisses d’un quelque part un argument irrationnel que nous n’osons formuler. Disons que nous le comprenons en ces termes : la fonction publique brandit l’étendard de la solidarité quand cela l’arrange, dans le seul objectif d’augmenter l’étendue de sa subjectivité; ce qui fait que la fonction publique se constitue comme Sujet désireux de se préserver à tout prix en prenant la plupart des autres pour des ustensiles en vue de parvenir à cette fin objective. De même chez le lycéen gréviste : on fera attention de « présenter bien » durant les manifestations, cependant on fera attention de rattraper le cours pour le contrôle de physique-chimie de la semaine prochaine. Cela démontre bien que le gréviste pèlerin a son arrière-monde tandis que le gréviste authentique n’a rien que le monde qui est véritablement celui de tous mais qui semble délaissé par des poignées d’opportunistes.


La lycéenne paradigmatique, arborant autour de son cou le keffieh de Yasser Arafat, c’est la même que vous retrouverez à faire des fellations intéressées dans un IUFM d’ici quatre ou cinq ans. Elle aura crié, elle aura fait sa poissonnière partisane, mais désormais il lui faudra entrer dans la fonction publique car cette fonction si repoussante l’autorisera à se remettre en grève religieuse, à élever ses enfants, et finalement à perpétuer un principe de réaction qui est incompatible avec le système d’une vie sincèrement créatrice et active. Nous le redisons alors : il n’y a pas de grévistes dans les rues, il n’y a que des gens en pèlerinage qui entretiennent un arrière-monde qui nie des exceptions pourtant indispensables à la survie d’un « nous concret ». De plus, la répétition inlassable d’un processus revendicatif qui ne fonctionne plus, c’est bien la preuve ultime que l’esprit de création a cédé le pas à un esprit de la complaisance qui, au fond, s’amuse bien dans ces petites festivités urbaines, précédant la fameuse soirée télévision où tout le monde s’apaise et s’endort. À Noël, tout ceci sera oublié, les enfants des grévistes seront quand même gâtés, et Dora l’Exploratrice fera la fierté de ceux qui agissent moins qu’une petite merdeuse fictive et assurément frigide.


Professeurs Bouchiche, Deveureux.

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