vendredi 23 mars 2012

Des vanités de l'Occident (propos pathologiques).


Nous avions écrit l’année dernière une liste de nos attentes pour le monde. Nous avions manifesté une joie cynique devant l’aggravation des maladies de l’Occident, parmi lesquelles nous recensions les meurtres familiaux et les attentats, autant de crimes nécessaires tant le modèle occidental s’étouffe sous la lourdeur effective de son individualisme. Car le déficit de la démocratie est bien celui-ci : la participation de tous engendre la perversité du singulier – on veut se démarquer coûte que coûte car on institue une démocratie qui s’inscrit dans la typologie oligarchique. En d’autres termes, l’homme démocratique souhaite s’imposer avant l’intérêt général de ce qu’il prétend servir. Aussi l’inutilité de l’homme civilisé devient de plus en plus évidente et Dieu, par suite d’une laïcisation formelle, n’est plus assez compétent pour éliminer les quantités négligeables de l’humanité – nous sommes évidemment nostalgiques des punitions que l’on croyait célestes, tel ce tremblement de terre de Lisbonne qui nettoya la ville en 1755. L’homme policé a tué Dieu mais il l’a remplacé par un panthéon autrement plus destructeur : la télévision et ses présentateurs. Les télévisions sont partout comme autrefois les croix surplombaient le lit des ménages. On critique l’érection des mosquées, la voix nasillarde d’un muezzin ou la phallocratie architecturale d’un minaret, mais que penser des temps de prière dont la scansion correspond au programmes télévisuels ? Il y a sans doute une sagesse plus féconde au cœur des sourates ; nous l’écrivons sans esprit de polémique malgré l’actualité propice à l’amalgame.

Conformément à nos idées sur les métastases occidentalistes, nous voudrions de manière très rétrospective et très prudente saluer les actions de Xavier Dupont de Ligonnès. Cet homme s’est définitivement exonéré de la pression familiale et nous nous étonnons que son geste ait suscité autant de réactions épidermiques. Pourquoi cet étonnement ? Puisque nous avons longtemps examiné les excès d’individualisme en Occident, nous sommes en droit d’être impressionnés par le paradoxe d’une foule qui juge péjorativement ce que pourtant elle ne cesse de défendre, en l’occurrence l’accès à la liberté absolue et à un minimum de responsabilités. Or qu’est-ce que la famille sinon l’obstacle libertaire et l’obligation ? Nombre de personnes gémissent au moment des fêtes de fin d’années parce qu’elles n’ont pas envie de se confondre en hypocrisies. Les estomacs se nouent, les nourritures sont mal digérées, mais les repas se font quand même. M. Dupont de Ligonnès a eu des motivations sûrement complexes, indiscutables en l’état, en revanche nous pouvons avancer l’hypothèse que son choix de vouloir vivre valide le soulagement d’une séparation, aussi violente fût-elle. Dans le cas contraire, cet homme aurait probablement opté pour le suicide. En outre, nous ne nous faisons aucune illusion sur la contenance des matières fécales de M. Dupont de Ligonnès ; les siennes sont dures et charpentées, celles des hypocrites sont molles et diarrhéiques. Les selles sont profondément épistémologiques, elles nous renseignent sur la psychologie des êtres vivants. Nous discuterons bientôt d’épistémologie fécale dans le détail.

D’un même geste, nous disions également il y a un an que l’Occident serait frappé dans son dos. L’affaire Mohamed Merah nous donne raison, et cette affaire n’est que la préfiguration d’un cahier des charges de l’horreur auto-fomentée par nos propres manières de vivre. La médiatisation excessive de ce personnage abject confirme l’idée que nous avons des représentations qui excitent l’esprit occidental. Au fond de lui-même, l’homme civil a trouvé dans ces attentats des matières excitantes, des sujets de conversation. Au fond de lui-même, donc, l’homme policé a regretté l’arrestation express du terroriste Merah, ainsi que son exécution consécutive après une trentaine d’heures de médiatisation exacerbée où des présentatrices débiles ont dit des choses tautologiques qui se voulaient intelligentes : « Trois détonations ont été entendues, trois détonations… Une (bruit de détonation), deux détonations (bruit de détonation), trois détonations (bruit de détonation) » [sic]. Nous ne citerons pas le nom de cette grossière abrutie car elle n’est qu’un élément de la machine cancérigène qui s’appelle la télévision.
Mohamed Merah est décédé d’une balle dans l’esprit, c’est heureux. On aurait espéré une pudeur bienvenue au lieu d’un tapage général qui a duré une dizaine de jours, octroyant au terrorisme des puissances iconographiques dont il n’avait pas besoin. Encore une fois, nous voulons dire que la télévision fabrique des calamités en plus de multiplier le génome de la crétinerie. On a vanté l’unité nationale, l’œcuménisme de rigueur et tant d’autres choses théâtrales, mais n’aurait-il pas mieux fallu répondre à ces absurdités par la mesure, c’est-à-dire par la pondération des discours et le laconisme des images ? Au lieu de cette sagesse, nous nous sommes vautrés dans le voyeurisme du deuil, l’inondation des idoles et le maintien d’une paranoïa maladive, soutenu par l’hyperbole – voyez ces magazines qui tirent des couvertures sur lesquelles on nous parle des « fous de Dieu ». Voyez encore le pathos de la destruction corporelle fêté dès le lendemain de l’accident d’autobus qui faucha vingt-huit personnes, et dont l’unique mise en exergue médiatique semblait concerner la curiosité des corps mutilés. C’est que l’Occident a besoin de ses cancers pour vivre. Le malheur insupporte quand il nous touche, mais il divertit quand il reste en périphérie de notre solipsisme. L’esprit de compétition s’apaise quand les effectifs diminuent, tout comme les psychologues de civilisation défendent « la continuité du vivre » lorsque les vraies réponses à « l’horreur du mourir » seraient dérangeantes si on en soutirait la réalité de la sève, à savoir que la poursuite du vivant n’est qu’une autre manière de prendre la place que les cadavres auront laissée vacante. C’est ce qui rend nos enterrements si pathétiques, nos attentats si politiques et nos crimes passionnels si révélateurs.
Or cette continuité dans le cancer généralisé de la société nous inspire un ultime cynisme. Nous espérons vivement que Xavier Dupont de Ligonnès refonde une nouvelle famille pour la tuer. Il deviendrait de la sorte le premier tueur en série familial, redoublant ainsi la pertinence de notre concept de défamiliarisation nécessaire.
Enfin, nous rappelons à nos lecteurs que nous militons pour l’archivage complet des religions humaines. La régression mentale de l’humanité empêche désormais une lecture salubre des grands textes, c’est pourquoi nous devons éviter que se créent des poubelles idéologiques dont la colonne vertébrale s’impliquerait dans la métaphysique d’une religion, quelle qu’elle soit. Ce n’est donc pas le terrorisme qu’il faut abattre, mais d’abord nos églises, nos mosquées et nos synagogues. Ces lieux de cultes doivent fournir des réflexions pour une réhabilitation urbaine, c’est-à-dire pour la construction de logements véritablement sociaux.
Messieurs Bouachiche et Deveureux.

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