samedi 22 août 2009

Tectonique des comportements sociaux.


Mon très cher ami intime Konstantinos,

Ces attaques sur votre dernier courrier m'ont fait doucement pouffer de rire. Les propos que nous tenons sont peut-être trop imaginés, ce qui entraîne probablement une lecture biaisée de nos pensées. Précisément, nous utilisons dans notre discours l'imagerie des toilettes comme le seul exutoire possible de la pression sociale engendrée par le « human perfect ». Je rappelle à nos lecteurs que le « human perfect » se définit comme la parfaite accointance entre le corps et l'esprit, ou, devrais-je dire, entre valeurs revendiquées et actes fondés. La déviance sexuelle de la scatologie est en soi une façon d'écumer le stress engendré par le poids des masques sociaux que nous portons. Lorsque j'ai réalisé une enquête sociologique sur les mœurs et le pouvoir en Belgique, beaucoup de prostituées m'ont confirmé que le degré de déviance sexuelle par la soumission et l'humiliation était proportionnel au poste à responsabilités que les clients de ces courtisanes occupaient. En d'autres termes, les plus grands avocats liégeois aimaient à se sentir dominés.

Lors de ma dernière promenade, je me suis surpris à écouter une conversation stérile d'un psycho-somato-thérapeute qui affirmait, pardon qui tentait, de s'auto-persuader que le patient est à cadrer dans une sphère spécifique, spécificité qu'il énumérait ainsi : « politique, artistique, intellectuelle etc. » Sa fierté personnelle était de confronter son patient à une sphère, pardon un masque, qu'il n'avait pas l'habitude de porter afin d'établir une analyse. Mais ce discours qu'il croyait tenir à un pauvre étudiant sans cervelle n'était en réalité qu'un processus de construction de façade sociétale monolithique qui avait pour unique fonction d'imposer l'importance de sa vie de psychothérapeute. En ce sens, qu'aurait-il fait si son interlocuteur ne faisait pas partie de son public préférentiel, défini comme tel par le contexte environnemental dans lequel il se trouve ? Qu’aurait-il fait s’il avait été question d’une personne immigrée à la culture différente dont le simple mot ANALYSE n'existe pas dans son langage ? Aurait-il pu appliquer à lui-même sa propre théorie ? Son idée n'est pas si désuète qu'il n'y paraît.
Notre schéma comparatif, j'appelle schéma comparatif notre bibliothèque personnelle d'expériences vécues (par soi ou par transposition) auxquelles nous faisons appel à chaque moment où l'on se retrouve face à une situation inconnue, ce schéma, donc, est régi par des intimes convictions qui s'apparentent bien souvent à des préjugés. J'emploie ce terme de « préjugé » car une situation inconnue est justement incomparable par état de fait. Je conseille donc à nos lecteurs de prendre connaissance du travail de ce grand pédopsychiatre, j'ai nommé Saïd Ibrahim, très connu dans la cité phocéenne. Il exprime de façon claire l'idée d'une ethnopsychiatrie. Les populations émigrées de Marseille sont un cas pratique peu négligeable dans la gestion de l'intime. Pour elles, l'intime relève essentiellement de croyances liées au monde des esprits et du surnaturel. La difficulté redouble lorsque ces croyances ne sont plus en adéquation avec l'environnement social. Et c'est là que les choses sont intéressantes. Établissons alors un comparatif possible avec ce courant artistique des années 60 qui s’est déroulé en Autriche. Possible car les faits sont similaires.
Les actionnistes viennois, groupuscule d'artistes autrichiens, ont tenté de se libérer du carcan académique de l'art par l'exhibition outrancière d'actes réservés à l'intime et au non-dit. Actes tournant autour de la scatologie, scarification et autres sévices corporels. Ma préférence allant vers cet artiste qui, lors d'une performance, s'est abandonné à un acte de masturbation sur l'hymne national autrichien. L'intime devient donc une arme que l'on emploie pour se libérer de l'insoutenable légèreté de notre être. Ce courant artistique fut extrêmement novateur et contesté à son époque. Beaucoup de ses membres ont été condamnés à de lourdes peines de prison. Je m'interroge alors : Facebook serait-il de ce point de vue une façon de revendiquer l'inutilité des vies qui y sont exposées ? Je vous répondrai que oui et je m'explique.

La seule façon d'apposer à l'intime une véritable fonction optimiste, c'est de le définir par les déchets corporels que nous fabriquons quotidiennement. C'est en cela que les actionnistes viennois avaient tout compris. La seule barrière qui vaille la peine d'être franchie de manière exhibitionniste est l'intimité du corps. Je vous renvoie cher confrère au travail esthétique de Nan Goldin dont le génie fut de se photographier meurtrie par les coups de son mari. C'est ainsi que j'admire les diverses campagnes de lutte qui montrent des images chocs. Attention ceci dit de ne pas me prêter de mauvaises intentions en me signifiant que je glorifie ces actes ! L'image percutante n'a qu'une durée de vie relative à la persistance rétinienne. Toutefois cela correspond exactement au souhait politique de maintenir l'hypocrisie que nous avons déjà dénoncée. En effet la lutte existe mais elle est si éphémère qu'elle permet de ne pas trop ralentir l'économie du tabac. Bref, je m'égare. La seule revendication possible par l'intime ne s'opère absolument pas par la mise en ligne des photos de mariage de ma tante Erika où mon cousin Henri a vomi sur les chaussures de tata Simone. Nous sommes bien en présence d'une hypocrisie des plus glamours : « Je suis parfait, ma vie est parfaite, et pourtant la semaine dernière j'ai eu une diarrhée qui a retapissé mon intérieur sanitaire ». Notre conscience du monde qui nous entoure est dénaturée par l'intime social. Cette conviction profonde du schéma comparatif nous pousse à la concurrence amicale sur Facebook. Ce schéma comparatif nous tient à coeur, il exprime notre rôle faussement joué d'être humain dans un jeu vidéo proche des Sims ou de Second Life. Pierre et Gilles, deux artistes talentueux (décidément ce courrier se veut artistique et non politique, ou peut-être intellectuel, je ne sais plus dans quelle sphère le compartimenter) ont énoncé cette magnifique phrase : « Il faut s'inventer un monde pour survivre dans celui-ci. »

Alors je vais faire preuve d'indulgence et me convaincre que les milliards d'utilisateurs de réseaux sociaux ne sont que de pauvres âmes égarées qui font la tentative avide de recréer une sphère sociale moins difficile à gérer afin d’éviter de tomber dans les affres de la diarrhée et, partant, de la réalité objective de leur existence. Ils revendiquent une constipation nécessaire et disent comme ce chanteur Monsieur François C. :


Bien sûr des avions tombent, bien sûr des trains déraillent

Bien sûr des bateaux coulent et on manque de travail

Pourtant y a tout pour être heureux

Tout pour être heureux

Dans la publicité les filles ont des règles bleues



Parfois il est bon de se taire et de laisser parler les sages à notre place. L'intimité pose donc une problématique de l'équilibre permanent. Soit je bascule dans une forme de violence, soit dans une religiosité démoniaque. Je parle de violence car l'intime dévoilé mais aussi fabriqué de ces sites communautaires nous pousse à voir autrui comme un objet. Bien sûr que je peux me permettre de t'affliger un commentaire te traitant de grosse vache puisque toi-même tu le revendiques par ta photo en maillot de bain. Facebook rend donc accessibles les hommes comme des paquets de chips dans un rayon de supermarché. Je consomme de l'intime et du même coup je consomme autrui. Et l’on s'émerveille que les agressions physiques se trouvent en perpétuelle augmentation. Le basculement est presque invisible. Il n'est donc pas étonnant d'observer par contraste une radicalisation de la religion. On transpose en conséquence le voile à la burka. Cette polémique française m'a beaucoup amusé. Les politiques dénonçaient un viol du principe de la République et de la laïcité. Mais ce viol n'est-il pas déjà présent dans des émissions de télé réalité qui nous donnent une intimité comme repas quotidien ? Certes cette intimité quotidienne n’est pas religieuse… mais radicale tout de même. Ceci est horrifiant de vulgarité. La France possède un réel problème de contradiction politique permanente : « Faites ce que je dis et non ce que je fais ». Le problème de la burka est simplement défini par le fait que la religion catholique (religion historicisée et donc légitime de ce pays) a perdu toute son influence. On jalouse donc l'Islam qui récupère les âmes en perte de repères intimes. Je conclurai, de manière un peu frivole j'en conviens, qu'il existe bien une tectonique des comportements sociaux. L'épicentre de ce phénomène n'étant rien d'autre que l'intime.

Sismiquement vôtre,

K.B.

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