mercredi 12 août 2009

Voyeurisme extralucide.


Mon ami K,

Votre texte est une fois de plus une démonstration brillante de votre virtuosité à manier les concepts. Je suis béat d'admiration quant à votre analyse du film de Monsieur Larry C. Or je dois dire que cette notion d'intime m'intéresse beaucoup. L'intimité est un concept si joyeux qu’il pousse les familles à être soudées. Il s’agit d’une notion qui autorise le parasitage outrancier de la sphère individuelle et privée d'autrui. Il est inutile de se cacher derrière des faux-semblants. Monsieur Andy W. avec son film « Sleep » a introduit une alchimie complexe entre intimité et business. Nous voilà donc en présence d'un économat fondé sur la surexposition de la vie privée. Cette surexposition n'a de vocation que de maintenir les petites gens dans un marasme culturel, les plongeant ainsi dans un coma cathodique et cathartique. L'inertie est gage de réussite en matière de manipulation cérébrale.
Pourquoi notre société humaine possède-t-elle une propension exacerbée et avide de croissance dans l'exposition du Moi intime ? Nous revenons au concept du Monstrueux. L'intime est monstrueux par le fait qu'il se doit d'être révélé par une communication fabriquée. Il est difficile de percevoir l'équilibre entre une morale répressive de l'intime et une économie gargantuesque se gavant de réalités révélées. Pourquoi avons-nous cette nécessité d'exposer notre vie ? Pourquoi Facebook explose ? Pourquoi la réserve d'un sanctuaire privé n'existe plus ?
De nos jours, l'homme se doit d'exister. L'existence est le drame de toute vie humaine. Je ne parle pas de la vie en tant que telle, je parle de ce que l'homme a développé au fil du temps, à savoir un profil socio-médiatique. Une sorte de « Moi » parallèle qui existe par la masse médiatique et pour les masses. Une intimité partagée qui légitime les actions les plus avilissantes.

Nous repartons sur une dualité capillaire ratée. Ce perpétuel gimmick de l'accord idéal entre mon verbe et mon action. Cette recherche de la perfection sociale : « Esprit sain dans un corps sain ».
Aujourd'hui, notre identité sociale se réduit au profil ridicule qu'on remplit sur des sites communautaires ou de rencontres. J'ai découvert par ailleurs, à mon retour en France pour ces vacances méritées, une créature mystique, que j'admire réellement, car son existence ne se situe plus à l’intérieur d’un domaine de réalité tangible. Son identité médiatique est un amarrage éternel dans la sphère du public. Mickaël V. est tombé dans le droit commun : telle une chanson, il tournera en boucle, figé dans une temporalité et un espace bien définis et précis, qui empêchera tout retour possible dans une sphère plus privée. L'intime exposé est donc consommable.

Lorsque je me ballade sur Facebook, je me nourris des photos de mariage de ma cousine, je dévore les soirées de débauche de mon ami d'enfance et je vomis les photos de voyage en amoureux de ma tante. Boltansky, artiste de l'intime sublimé, nous propose souvent des installations photographiques arborant de nombreux portraits d'anonymes. Etrangement, lorsqu'on regarde ces images, on développe un instinct comparatif. On y voit toujours la grand-mère morte il y a peu, ou le frère que l'on n’a pas vu depuis cinq ans, bref nous devons systématiquement appliquer à l'inconnu un schéma de reconnaissance. Ce schéma enfante la notion d'intime partagé, régie par un capital numérique de perception positive. Ce capital est proportionnel au degré de conformité entre le dit et le fait, entre le savoir être et le savoir faire. Ce capital n'est absolument pas dépendant d'un système binaire d'actions positives et d'actions négatives. Je gagne des points en laissant ma place dans le bus seulement si je mets en avant ce caractère de politesse sur mon profil social internet. La complexité de ce système réside vraiment dans la coïncidence entre ma personnalité solitaire et ma personnalité de réseau social. Le seul intérêt de mon existence demeure dans le nombre élevé de mes amis sur Facebook. Mais mon propos se situe un peu plus loin. Mon discours est bien la dénonciation du viol par l'intime. Je m'explique :

Lorsque je parcours les profils pré-mâchés et superficiels de ces sites communautaires, je ne peux que me sentir agressé par la vulgarité des propos et des images énoncés. Ai-je nécessité à connaître des semblants de vies mornes et dénuées de toutes les sensibilités ? N'est-ce pas une mauvaise façon de provoquer notre schéma comparatif ? Mauvaise dans le sens où cela nous pousse dans les retranchements les plus sombres de la confiance en soi. Une personne en fragilité sociale ne peut que se sentir violée dans sa chair lorsqu'elle s'aperçoit, par le biais de ces profils abscons, qu'elle est une misérable dont la vie n'intéresse même pas ses douze amis sur Facebook. Arrêtons de servir aux masses des modes de vie affligeants de banalité ! La curiosité est nécessaire, et je l'ai toujours revendiqué. Mais le voyeurisme n'est qu'une perversion de celle-ci prônée par Monsieur Andy W. que je range dans le même placard que celui de Monsieur Walt D., à savoir celui des dictateurs de la stupidité. En parlant de placard, il subsiste encore un lieu protégé qui reste le seul endroit possible pour revendiquer un accord à l'unisson de son être et paraître. Je fais allusion aux toilettes. Cette pièce souvent plus étroite que les autres est le seul espace où nous lâchons ces masques sociaux pour retrouver une intimité véritable. On le constate souvent dans les toilettes publiques où l'on retrouve toutes sortes de messages scatologiques qui ne sont en réalité que le soulagement profond de la pression sociale.

Il est donc absolument indispensable de garder une réserve, de protéger les derniers vices qui peuvent encore attaquer le moralisme religieux et politique. Il faut garder le verrou des toilettes fermé comme tel sous peine de retrouver un tsunami d'excréments culturels déjà bien présent dans nos médias. A trop exposer le négatif du film à la lumière, on risque sa destruction, laissant ainsi toute la place au discours extrémiste et sirupeux que je dénonce ici. Les perversités cachées ont cette incroyable force, lorsqu'on les dévoile, de remettre en question des discours aseptisés et débilisants. Mais cette vigueur peut se perdre dès l'instant où l'intime devient source de pouvoir et d'argent.

Viscéralement votre ami

K.B

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