vendredi 18 septembre 2009

Colère nécessaire.


Mon ami K,

Je vous souhaite, en préambule de ce courrier, une bonne rentrée universitaire, et vous savez comme moi ô combien cela est un moment douloureux de notre existence commune. Chaque année, le moment est fatidique, nous ne pouvons le repousser et nous sommes à nouveau confrontés aux masses moutonnesques que forment les étudiants. Notre fonctionnement est finalement cyclique tout comme celui des femmes et de leurs menstrues. Nous devons, l'année commençant, purger nos aspirants du savoir pour pouvoir enfanter de nouveaux penseurs. Et définies comme de vieilles femmes proches de la ménopause, nos chances d'engendrer le futur génie de la pensée s'amenuisent pour bientôt disparaître dans les abîmes du savoir vite consommé et vite expulsé.

Votre dernier courrier m'a enchanté comme à l'accoutumée et je m'étonne à nouveau que vos compétences soient si mal usitées dans nos temples du savoir universel. Cette relation épistolaire doit faire date dans la transmission de nos pensées libres. La liberté de ton est insidieuse pour certaines gens, incapables de comprendre nos étincelles de réflexion. Les critiques non-constructives et affligeantes de banalité n'ont de cesse de renforcer nos orgueils et nos convictions. Nous ne sommes cependant pas réfractaires à une ouverture au débat si tant est qu'elle soit judicieuse et perspicace d'originalité.
Cette formidable image que vous donnez dans votre précédente lettre, cette histoire si propédeutique et poétique des deux miroirs, m'a subjugué de bonheur. C'est un véritable ravissement pour l'intellect. Je souhaitais, pour faire écho à votre propos, parler des différents paramètres de l'intime qui orientent différemment notre regard, mais une expérience nouvelle est venue me cueillir au moment où ma capacité revendicative semblait s'embourber dans un marasme tenace. Cette rencontre s'effectua dans une salle obscure, au détour d'un couloir, face à un écran géant. Durant mes derniers jours en France, j'ai voulu m'accaparer un sujet que je connais peu, celui du milieu carcéral. Il est vrai que je me suis mis à relire le célèbre ouvrage de Michel F, ceci explique donc cela. Ce film de Jacques A, primé au dernier Festival de Cannes, a réveillé en moi des instincts de protestations que je pensais toujours avoir. Il est vrai que lorsque nous manquons de recul et que la pensée intelligible est insérée dans un mécanisme d'habitude et d'accoutumance, nous perdons souvent le regard juste des faits. Alors dans un souci de réajustement, et pardonnez-moi d’avance mon cher collègue, je vais enlever ma veste d'universitaire pour reprendre celle de l'opportuniste. Nous avons entre les mains une véritable arme de destruction massive que la magie des réseaux de pouvoirs et d'argent fait disparaître au sein de nos consciences. Il me faut expliquer cette assertion.

Comment peut-on vivre en toute sérénité dans un monde qui ignore les méfaits de l'exclusion ? Pourquoi aucun politique au monde ne voit la détresse humaine comme potentiellement dévastatrice ? Pourquoi la réalité carcérale du film Un Prophète m’apparaît comme si gênante ? Pourquoi cette suite d'images a réveillé en moi ce pessimisme cruel sur la nature humaine ?
Peut-on négliger notre regard sur un monde qui jouxte le nôtre ? Si ce n'était qu'un monde, nous pourrions encore pallier à ce problème mais les failles de ces tremblements de terre sociaux se creusent dans tous les domaines des fragilités humaines, à savoir la prison, les hôpitaux, les hôpitaux psychiatriques, les bidonvilles, les centres sociaux et j’en passe.

Exclure est, pour mon cerveau malade, la forme de violence la plus dangereuse de nos collectivités humaines. Il s'agit bien là de rendre les hommes asociaux et assoiffés de revanche sur un système qui a provoqué leurs pertes. Toute forme d'écartement provoquée par une mécanique sociétaire inclut intrinsèquement chez le sujet écarté le mutisme de son intimité propre. Et nous l’avons exploré : l’intime doit aujourd’hui s’exprimer. Nous devons notre existence sociale aux champs et aux domaines que nous avons décidé d'intégrer dans nos parcours de vie. Alors dès l'instant où je me marginalise, de façon consciente ou forcée, je perds mon identité sociale. Or j'affirme que cette perte entraîne une forme de véhémence non négligeable. Une question se pose donc à nous. Dois-je être victime et accepter la violence du système ou dois-je intégrer cet acharnement et m'en servir pour survivre ?

La misère humaine nous confronte de manière inéluctable à ce choix féroce. Mais la réponse n'est finalement pas importante. Le véritable éclaircissement de cette question réside dans la non-possibilité d'entrevoir une autre solution que ces deux proposées. Il faut se rendre à l'évidence que nous vivons de plus en plus dans des sociétés cassantes qui ne sont plus régies par les politiques mais par des réseaux de force négatives. Je parle bien sûr des lobbies voire des mafias qui régentent le système financier de nos États. Je comprends maintenant la sensation irritante de ce film de Jacques A. Au travers de la prison, s’illustre parfaitement le sens que la société donne aux jeunes désoeuvrés. Vous comprendrez, cher collègue, que je ne peux ici en développer davantage sans risquer de dévoiler l'histoire du film.

La prison, ainsi que tous les autres microcosmes clos, sont des bombe H qui s’ignorent. La déstructuration mentale, par les jeux de dominance et de violence qui s’opèrent dans ces espaces, est une menace qu'il faut davantage prendre au sérieux. La grippe A et Al Qaïda ne sont que des manœuvres fumantes pour tenter de convaincre les masses que les politiques ont encore le dessus. Nous devons prendre en considération l’idée que ces lieux d’enfermement ont une constante progression en terme de fréquentation. Nous devons avoir à l’esprit qu’un délit n’est pas l’œuvre d’un seul homme mais aussi celle de la mécanique cassante d’une société utilitariste où l’homme devient un produit. Ce simple constat pose déjà une profonde interrogation : une vie humaine peut-elle se soustraire aux mains d'une administration perspicace dans l'anéantissement de l'identité de réflexion ?
Eh bien oui, elle peut se dissocier d’une structure ! Regardons simplement la vague de suicides en constante augmentation dans les grandes entreprises internationales. Nous sommes un stock de matières premières que l’on réorganise au gré de restructurations capricieuses en clamant le jeu des chaises musicales de la recommandation. A nouveau nous y venons : les faibles ont besoin d’une organisation solide pour promouvoir l’incompétence aux postes clés, et ce au profit d’une perpétuelle quête de pouvoir monétaire.
Peut-on seulement être des ânes passifs contents de notre sort ? L’apathie collective est salutaire pour des dirigeants rongés par le pouvoir. Il est primordial de s’abrutir; il est venu le temps de Fahrenheit 451, sauf qu’on ne détruit pas les livres par le feu mais par la télévision. Le savoir se résume donc à Wikipédia, la culture se résume à Big Brother, et la nature humaine se réduit au Bachelor. Je suis satisfait de cette avancée considérable en matière de sociologie. Congratulons-nous ! Il reste peu de temps pour le faire. Nous devons mourir sous les coups de cravache de la pression sociale.
Alors, cher collègue, ne m’en voulez-pas de ce « coup de sang » spontané, il n’est que le résultat d’un trop plein de positivisme.

« Camaradement » vôtre,

K.B

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