jeudi 17 décembre 2009

Des phobies et des hommes.


Cher professeur B,

Tout apprenti savant devra retenir la leçon que vous mettez en pratique lorsque vous faites état de votre rétractation provisoire du monde universitaire. Il faut reconnaître que les défauts des établissements de l’enseignement supérieur se condensent principalement en ceci qu’ils sont saturés de théories, lesquelles finissent par ne plus comprendre le rapport qui les unit à leurs domaines d’application. Et je crois que cette scission inconsciente (quoique très efficace à l’entretien des mandarinats) nous dit quelque chose de substantiel sur les mécanismes de la peur. Mon objectif sera de montrer que la peur est d’une nature différente que celle que les décisions politiques entretiennent dans l’espace public. L’argument que je veux d’emblée privilégier est le suivant : la peur ne se fabrique pas dans l’atelier du petit chimiste, pas plus qu’elle ne se raconte en théorie comme si elle dépendait d’une action forte agissant sur des groupes d’objets inertes. Penser que la peur est davantage sujet que ceux qui l’éprouvent, c’est reconnaître l’euthanasie de la raison que vous avez décrite, c'est-à-dire l’assistance gouvernementale qui opère soigneusement les esprits en vue d’obtenir un calibrage des émotions. Ce type d’intervention rejoint ce que vous expliquiez au sujet de la « pédophilie mentale » entre les mères et leurs enfants, sauf qu’ici je parlerais plutôt d’une violation des droits cognitifs.

La méthode du politique doit être comprise avant de passer à l’examen proprement dit des instances de la peur. Dans le sillage de ce que monsieur Sehene-Gatore déclarait, je soutiens que le pouvoir gagne à enfanter de la bêtise. Le processus est d’autant plus convaincant que la plupart des femmes enfantent déjà de la bêtise dans la façon qu’elles ont de s’imaginer que neuf mois de gestation équivalent à neuf mois de discours prospectifs à propos de ce que devra être l’enfant. On comprendra dès lors qu’une fausse couche, voire un nourrisson morphologiquement inadéquat à toutes ces représentations poussives et non conformes au principe de réalité robuste, peuvent détruire neuf mois de bonheur préfabriqué et être causes de frustrations létales. Qui plus est, l’esprit féminin maternisant a ceci de généreux qu’il se représente des souvenirs qui n’ont pas encore eu lieu. Ces excroissances d’images sont à mettre au compte de plusieurs vacuités que nous devrons éventuellement discuter ailleurs. Retenons simplement que la bêtise enfantée, avant toute « pédophilie mentale » qui suivra lors de l’éducation de l’enfant, repose sur un principe d’irréalité qui se substitue à la réalité. L’argument principal est relativement simple d’accès : le discours sur la beauté supposée de l’enfant est proportionnel à la grossesse car, le corps féminin grossissant, il est préférable de décentrer la fuite de la beauté étique au profit d'un type de beauté éthique qui se distribue dans le procédé prospectif visant à dire du futur nouveau-né ce qu’il est devenu inconvenant de dire de soi-même (autrement dit : passer de soi comme non-maigre au non-encore-advenu comme déjà-beau). Par conséquent, si la volonté peut même choisir le plus absurde, il est aisé pour le politique de faire en sorte que ce choix puisse se dupliquer dans d’autres sphères de la volonté. On peut par exemple citer le réflexe moralisateur qui dit qu’il est plus terrible qu’un minibus de colonie de vacances s’écrase dans un ravin plutôt qu’un minibus de personnes âgées. La gouvernance va donc travailler la peur dès le plus jeune âge pour deux raisons apparemment disjointes : 1/ Il est nécessaire que les jeunes aient peur parce que cette peur aura un effet de vase communicant sur les parents. 2/ Les vieux, de toute façon de plus en plus séniles, ressentent de moins en moins la peur, quoique les représentations de la mort ne soient pas davantage réelles que les idées maternelles de l’enfant encore recroquevillé dans le ventre pathétique de la mère.

La méthode de gouvernement va créer en conséquence des questions a posteriori. Qu’est-ce que cela signifie ? Que les peuples d’abrutis ne se posent pas les bonnes questions, donc il faut que le pouvoir propose des questions de substitution, et ces nouvelles questions sont établies en fonction des revendications populaires que l’on entend dans les rues. Le peuple est alors charmé parce qu’il a l’impression, en faisant la grève, de répondre à la question de l’État qui vient pourtant de formuler bêtement sous un rapport interrogatif que la période était difficile (la mise en question camouflée est formidable car elle donne un aspect d’intelligence à ce qui est purement constatable; elle transforme en quelque sorte un truisme en l’emballant dans un point d’interrogation). J’appelle cela des séquences de questions inversées, en ce sens que les questions sont posées à partir de ce que le gouvernement observe dans le périscope de la population médiocre. Un tel handicap mental est possible parce que le peuple descend battre le pavé pour se plaindre, persuadé qu’il a effectué un autodiagnostic parfait et que ses doléances sont sémantiquement valides par rapport à une situation pourtant étrangère à toute sémantique vériconditionnelle.

Aussi, faire d’une peur quelque chose de populaire, c’est considérer que la théorie dépassée du sujet et de l’objet est encore en vigueur. Je dois m’expliquer de cela.
Dans un texte que j’apprécie tout particulièrement, Vincent Descombes pose le problème de l’action sous le rapport d’une constellation d’agents solidaires mais en fonction de degrés variables d’agir, ce qui disqualifie la métaphysique agonisante d’un sujet souverain qui aurait à entreprendre son action par l’intermédiaire d’un objet inerte qui n’attendrait que sa modification pour justifier en effet de l'action. Vous pouvez lire ces analyses dans Le complément du sujet, aux éditions Gallimard.
Il faut donc abandonner le schéma binaire d’un sujet qui agit et d’un objet qui pâtit. Un exemple trivial serait le suivant : « Obama a lancé un nouveau plan de santé publique ». La phrase est juste sauf qu’Obama n’a pas littéralement mis sur pieds les mesures de santé à lui tout seul. Il est moins trivial de faire remarquer ce genre de détail car les critiques d’Obama croient qu’il est l’unique responsable de l’action qui consiste à penser et mettre en route un nouveau plan de santé. En d’autres termes, une action a toujours lieu selon les dispositions d’une matrice sociale qui la rendra plus ou moins pertinente. En effet, ne m’intéressent pas les actions qui n’impliquent pas une réalité sociale, à savoir les actions intimes sans épaisseur. C’est la raison pour laquelle une action connecte à divers degrés plusieurs agents : l’action se réfléchit évidemment sous le rapport d’une seule chaîne causale, toutefois elle se redistribue tour à tour dans les différents agents qui y sont impliqués, et ce en fonction d’une diversité de degrés qui permet ensuite de décrire l’action avec le plus d’objectivité possible. Dans le cadre de la peur, le gouvernement façonne une action qui implique le sentiment de peur, néanmoins les agents ne sont pas forcés de répondre tous de la même manière aux signaux de la politique. Ainsi, les agents de la population ne sont pas des objets inertes, et il se pourrait bien en dernière instance que la peur insufflée par le gouvernement se retourne contre lui par le biais d’une inversion causative perverse. Les militaires du plan Vigipirate ont tout à fait le droit de répondre par la peur en provoquant la terreur dans le métro d’une façon très simple, c'est-à-dire en devenant eux-mêmes des agents du terrorisme organisé. C’est que la peur organisée depuis le sommet du pouvoir est incapable de prédire le problème des infiltrations malsaines dans les rouages du mécanisme. Cette inaptitude à la prédiction s’explique par la croyance que toute action de la politique est censée agir sur des sujets inertes. Ce schéma est fonctionnel au cœur d’une population d’abrutis et d’attardés. En revanche, ce schéma devient inopérant dès l’instant où les agents décident que la peur comme mode d’emploi du pouvoir est tout au plus l'acte d’une pièce de théâtre dont les coulisses sont accessibles.

La conclusion de cette réflexion est relativement pessimiste car elle met en exergue que les populations occidentales sont très abruties. Il serait laborieux de faire la liste des méthodes causatives auxiliaires pour l’entretien de la peur, mais parmi quelques-unes d’entre elles, on peut citer l’implantation d’un féminisme basique dans les sociétés industrialisées. L’argument qui dit que les femmes désirent être mises sur un pied d’égalité avec les hommes dit deux choses : 1/ Que les femmes reconnaissent publiquement leur infériorité (au passage, je crois qu’elles ont entièrement raison). 2/ Que les plus atroces procédés doivent nécessairement être masculins puisqu’ils sont les plus puissants en principe.

Ainsi, lorsque vous parlez de l’absence de finesse de la part des organisations terroristes, j’ajouterais que cette mythographie féministe est le meilleur moyen de préparer la venue d’un genre nouveau de criminalité féminine (voyez récemment l'explosion des dénis de grossesse). En se focalisant sur les mauvais côtés fantasmés du genre masculin, en sus de la théorie phallocrate du complot, les féministes attisent la peur des hommes et, du même coup, affaiblissent leur attention sur les femmes qui sont dans l’expectative du meilleur moment pour se venger dans le sang autre que celui des leurs menstruations. De tels comportements primaires intensifient les peurs logiquement primaires. Ils ont toutefois le mérite de révéler l’inutilité du féminisme, les femmes étant toujours prêtes à quitter le discours féministe si un homme leur promet un carrosse rempli d’enfants avec un cocher passif sur le siège conducteur. Par conséquent, cette faculté de la raison de se rendre inerte est d’abord un mécanisme féminin, orientant de ce fait les décisions des politiques vers une surenchère des stéréotypes qui conditionnent la peur dans l’épicentre de quelques hommes barbus, religieux et amateurs de minarets. Si bien que les féministes seront prêtes à se jeter dans les bras du premier homme puissant et détracteur de ces stéréotypes, continuant ainsi à alimenter l’inertie des femmes, laquelle alimente à divers degrés l’inertie générale, ce qui en dernière instance finit par accentuer les schématisations des peurs itératives. Tant que le pouvoir sera témoin de cette objectivation de l’inertie auto-conditionnée, il lui sera facile de distiller les discours sur la peur en rendant les signes actifs et les interprètes passifs. Les femmes se doivent donc de reprendre en main la non-pertinence de leurs engagements sociaux : moins de cosmétologie et davantage de logique est une première prescription que je fais.

Bien cordialement à vous,

K. Deveureux

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