mercredi 6 juillet 2011

Malaise tribal.




Mon ami,





L’été m'a toujours rendu maussade. Les chenilles deviennent des papillons et la laideur laisse place à la beauté de la nature. Les hormones fusent de toutes parts et notre vision du monde se transforme en un rose chamallow plein d'édulcorant qui nous écœure à jamais. Ces temps-ci, je fais moi aussi le bilan. Ma calvitie reste bien implantée sur mon crâne, et ce mauvais jeu de mots illustre à merveille ma condition d'homme qui se décompose. Mon regard est appesanti par une sensation alcoolisée due à l'enivrante odeur de l'humanité en fleur. Ma vie est bien peu de chose à ce jour. Tel Desmond Morris et son zoo humain, je n'ai pu m'extraire de ma condition de sociologue rongé par la rancœur et le cynisme. Je cherche toujours à espérer qu'un jour moins triste supplantera les longs mois de solitude du savoir que je ressens. Mais rien ne vient.





J'erre dans les couloirs de l'Université tel un corps sans âme qui cherche refuge dans le ventre de sa mère. J'entends même les quolibets de certains de mes étudiants qui surviennent au moment même où je déambule devant ces silhouettes si pleines de vie. Alors, dans ma tête, surgit la tirade de Cyrano, et je m'imagine tenir ces mêmes propos face à ces « sans papiers » de la connaissance. Mais le fait simple de considérer l'énergie nécessaire à l'action d'une telle requête me contraint à passer mon chemin. Je me ballade donc. Tout comme je l'ai toujours fait. Et je me plais à repasser dans ma mémoire sénile les passages de ce zoo humain qui me fit tant sourire lors de mes premières années de fac. Cette thèse de surpopulation planétaire qui nous contraint à revoir des moyens d'extermination en masse pour notre salubrité mentale me fait rougir d'émotion. Tout comme la « Gloïre » de notre bon ami Boris, celui qu'on paye avec de l'or pour aller chercher au fond du lac, avec ses dents, toutes ces choses qui pourrissent par nos regrets et nos hontes, et qu'on paye en or massif pour endosser toute culpabilité. Ainsi, en ces temps si pressants, on s'accommode de la violence. Un drame survient et on exprime lamentablement sa compassion envers la famille de la victime sans même prendre conscience de notre responsabilité dans ses conséquences sociologiques. On relate un fait divers, on s'émeut, puis je vomis dans mon coin le désespoir sociologique qui m'étreint. Est-ce la fin de ma vie spirituelle ? Suis-je atteint d'un glaucome de la pensée ? La ménopause de la réflexion est-elle arrivée ?
Bien sûr, j'évoque ici un éventuel vague à l'âme qui me ronge tel un cancer des os mais les symptômes que je diagnostique sont réels.





Notre combat face à la morale a été rude. Cette créature vivace qui s'étend insidieusement, telle une plante carnivore sitôt qu'un domaine de pensée est en friche, elle fut difficile à exterminer. Aujourd'hui, nous y sommes parvenus. Vous me direz qu'il existe encore de la moraline dans chaque atome que compose notre société et je vous répondrai que vous avez tort. Outre la thèse de Desmond Morris que je défends ardemment, suivant laquelle la violence naît de la frustration d'un désir refoulé par notre incapacité à nous extirper de la condition sociale à laquelle nous appartenons, nous possédons une compétence toute particulière qui nous aide à nous détacher de toute analyse sociologique d'un événement effroyable, et ceci se fait par l’intermédiaire de la « Gloïre » que représentent certains médias. Nous avons vaincu aujourd’hui les trois symboles de morale présents dans nos sociétés, à savoir celui de la Religion, celui de la Politique, et celui de la Famille. N’ayant plus de stimuli moraux qui favorisent la soudure du lien social, nous avons développé ce qu’on appelle aujourd’hui un panel de « valeurs ». Ces valeurs ont pour objectifs de remplacer les morales globales d’une « super-tribu » (ainsi s’exprime la définition de Desmond). On assiste donc à une délocalisation de la morale : elle passe d’un rang national à un rang individuel mais elle ne se déplace pas seulement, elle régresse également. En effet, une valeur est une habitude de caractère qui, avec l’évolution de notre personnalité, s’impose comme une conduite morale. L’inconvénient avec ces sous-morales, c’est leur singularité. Il existe des milliards de valeurs propres aux milliards d’individus. Difficile donc de remettre en question cette moraline locale qui régit le comportement d’un individu par la bêtise et la stupidité. Les choses se compliquent lorsque ces moralines se rencontrent et tentent de se soumettre l’une l’autre. On assiste à ce moment précis à un déferlement de violence et à une rupture de la raison pour retrouver un instinct animal dans cet immense zoo humain.

Fantômatiquement vôtre,




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