dimanche 19 juillet 2009

Dialogue de sourds.


Mon glorieux compagnon de route,


Je prends un peu d’espace numérique pour manifester toute mon affection quant à votre réflexion du ceci et du cela. J’adhère totalement à cette brillante idée de complémentarité du sensible et de l’intelligible. J’en parlais encore hier soir avec mon collègue Timothée, un brillant anthropologue qui mène une recherche acharnée sur la déstructuration de la figure humaine dans le travail intérimaire. Il me confiait toute la reconnaissance qu’il porte aux travailleurs de fond, ceux qui vouent une allégeance totale à leur vocation professionnelle. Nous avons convenu ensemble que des porte-paroles doivent être saisis pour faire entendre leurs réflexions de terrain en y ajoutant le recul nécessaire qui permet d’analyser presque froidement les mécanismes humains parfois si souffrants.
Il est donc nécessaire de recouper les compétences de chacun et c‘est là que réside la véritable curiosité comme vous la définissez si bien. Il est vrai que je n’ai de cesse de répéter l’importance de la mixité dans toutes les choses que nous entreprenons mais, une fois de plus, le monde est sourd. Une sourdine consentie qui donne à chaque homme la possibilité de s’annihiler en tant qu’entité intelligible. Cependant « mettre en sourdine » n’est pas si facile. Nous l’avons vu, le savoir télévisuel emphatique permet de corrompre tout cheminement de pensée mais cela ne suffit pas. En effet, dans une société qui prône l’individualisme exacerbé, on se retrouve bien souvent seul lorsqu’on rentre du travail ou que l’on se couche (j’entends le mot « seul » non comme une solitude physique mais plutôt psychique) et, contrairement à ce que l’on pense, le silence est très bruyant.
Il ne faut pas laisser choir notre conception de chair. Nous sommes composés de cellules qui réagissent au monde extérieur. Nous sommes de véritables amas de billes de polystyrène qui réagissent au moindre changement de rythme. Je veux dire par là que chaque expérience quotidienne, qu’elle soit heureuse ou douloureuse, est emmagasinée par notre réceptacle corporel et que si nous les dénigrons dans notre réflexion de vie, alors nous mourrons à coup sûr d’un cancer. Cette maladie est le résultat probant d’une négation de soi et de ses besoins. Et l’on ne peut pas se débarrasser de ces ondes sismiques comme on passerait une lingette démaquillante le soir avant de se coucher.
Soyons réalistes, nous ne pouvons échapper à deux facteurs anxiogènes : la mort et la réflexion sur soi. Le premier nous l’avons déjà parcouru sans fard ni faux-semblants. Je conseille donc à nos lecteurs de consulter quelques lettres et articles publiés en amont. Le second, nous en avons esquissé quelques semblants de façon transversale, sans vraiment prendre conscience de cette fuite de l’être face à son non-être comme vous le dites si bien. Je pense que nous n’avons pas assez mesuré la difficulté de la nature humaine à se considérer simplement comme être de nature humaine. Pourtant il y a bien une faute identitaire que nous avons saisie, vous et moi, c’est-à-dire une scission profonde entre « ce que je suis » et « ce que les autres perçoivent de moi ». Bien souvent, je dois le dire, cette faute, je l’incombais à une forme de pression médiatique et culturelle mais je m’aperçois que le fond du problème n’est pas ici. Où se trouve t-il donc ? Je dois dire que je n’en ai pas encore une réponse claire. Quelques pistes bien sûr sont à explorer dans l’attitude passéiste de certaines gens mais je me doute que ce n’est pas la seule explication. Les méandres de la société sont nombreux et parfois multidimensionnels.
On se retrouve donc souvent seul face à nos propres réflexions et cela nous effraie au plus haut point. Il n’y a pas plus angoissant comme situation que de se retrouver à prendre une décision qui ne concerne que soi. Une peur massive de l’isolement guette alors chaque individu incapable de s’extraire de sa condition de téléphage. Hormis la « boîte à image », il existe une autre solution facile et qui nous conforte la plupart du temps dans nos choix de vie (nous en avons souvent dénigré le sens et une fois de plus je recommande à nos lecteurs de relire quelques courriers précédents), je veux bien entendu parler de l’effet de masse et du communautarisme abrutissant. La nécessité de faire partie d’un groupe totalement homogène est une question de survie lorsqu’on veut anéantir sa conscience du monde. Il est vrai qu’il est dangereux de prôner une vision et une réflexion omniscio-mondiales mais s’extraire complètement de celle-ci pour se fondre dans un papier peint communautaire vieillot et jauni est une façon de revendiquer l’asphyxie de l’homme. Dans l’idéal, le groupe hétérogène est la meilleure façon de préserver la conscience du monde tout en conservant son arbitre.
Le silence est donc nécessaire, il faut apprendre à se taire et écouter pour éviter le ceci et le cela. Notre faculté de parler et de communiquer nous rend hermétiques à toute interaction intellectuelle. C’est évident, lorsque nous parlons et que nous mobilisons l’attention, nous ne pouvons pas comprendre notre environnement. Ceci est l’apanage de tout homme politique. Il est donc nécessaire dans un premier temps de se prostrer dans un mutisme absolu, d’observer avec attention toutes les sources d’une information, et enfin d’ouvrir la bouche pour en extirper l’essence juste. Ainsi on ne parle pas pour ne rien dire et la parole devient d’or. Néanmoins le système peut être abrogé dès l’instant où l’on entre dans une sphère publique de grande échelle. Voici donc notre Everest.
Pourquoi faut-il toujours qu’une conversation commence par des futilités climatiques ? Commençons par un silence, une respiration qui va donner du souffle à nos propos. Mais attention d’autres pièges nous attendent. Les mots galvaudent la pensée pure, il faut s’en méfier, ils trahissent notre conception et font parfois des amalgames douteux dans l’esprit d’autres. Ainsi, vous avez largement raison de souligner le fait que notre relation épistolaire est déjà loin de notre précepte initial. Mais nous n’y pouvons rien. Chaque œuvre construite est juste. Il est donc normal de la soumettre aux aboiements des masses qui ne feront que renforcer le poids de chaque mot. Cette relation épistolaire ne nous appartient plus dès lors qu’elle est rendue publique. Nous n’en sommes plus maîtres et la beauté des choses réside dans les quelques secondes de ce basculement.

Best regards

K.B

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