lundi 12 juillet 2010

Conversations (5) : tropismes sexuels.


K. Deveureux : Un sujet tel que celui du sexe est susceptible d’offenser parce que son universalité ne se restitue pas dans les pratiques. Depuis l’émergence de la téléréalité, on nous abreuve de signes sexuels, d’images tendancieuses qui laissent deviner l’intimité qui ne tient plus dans son confinement, toutes sortes de choses qui constituent une narration faussée des réalités de l’acte. Ma thèse est que la présence omnipotente du sexe est inversement proportionnelle à la présence même du sexe dans le couple. En d’autres termes, il y a moins de pratique depuis environ une à deux décennies. J’appuie cette thèse en accusant la prolifération du divertissement. Puisque les gens vivent une existence difficile, on accumule les petits divertissements, ce qui contribue à la perte d’énergie sexuelle dans l’emploi du temps du couple. Les gens qui vivent sous le même toit sont d’autant plus victimes de ces vices ludiques qu’ils multiplient par deux le coefficient d’existence difficile. Alors on procède à un inventaire des idées du sexe plus qu’on ne les applique.


K. Bouachiche : Je ne sais pas si effectivement les pratiques sexuelles sont en baisse, néanmoins je pense qu’elles reposent davantage sur la représentativité. À l’heure où l’apparence, les codes sociaux, les mœurs sont bien définis et bien caractérisés, on utilise le sexe non plus par plaisir mais par devoir. Les rencontres sexuelles ne sont plus un moment de partage, d’échange, de plaisir mutuel, elles sont plutôt un karaoké de films pornographiques. On change sans cesse de position sans même comprendre ce qu’on fait. Il s’agit là d’une prestation artistique de patinage sexuel, avec ses figures imposées, sa suite de petits pas et ses notes à la fin du parcours. Je dirais donc qu’on conceptualise l’idée même du sexe, laquelle doit normalement se définir dans un domaine bassement corporel. En cela je dénonce fermement la filmographie de madame Catherine B. Il n’est pas à exclure que dans un futur proche nous ayons à recourir à des lieux de restauration sexuelle.


K. Deveureux : J’avais induit que la nouvelle nature nécessaire du sexe ne faisait que procéder à un désenchantement de la spontanéité, en quoi j’avais attaqué les émissions d’apprentissage ou de confession où, respectivement, l’on répond à des question et l’on fabrique des énoncés infalsifiables sur le sexe. Au sommet de cette base désormais implantée, on repère la notion de performance, tout à fait explicite dans votre métaphore du patinage artistique. Les exigences en matière de sexe créent de la peur. Les magazines féminins et surtout féministes instituent des hydres que seuls des Hercules pourraient satisfaire. La femme moderne est dans l’expectative d’un orgasme expurgé de tout échec. La réclamation perpétuelle d’un supplément organique et sexuel détruit la base primitive d’un acte essentiellement irréfléchi. La représentation, en précédant l’acte sexuel, introduit dans le futur du sexe un présent de recomposition mécanique qui asservit le sexe à des machines et des rouages. Les ouvriers pénètrent dans l’usine, font leur travail, et il en ressort des objets consommables. Rapportée au sexe, cette image indique que l’on s’aventure dans l’acte afin de produire des orgasmes qui seront ensuite débattus du point de vue quantitatif et qualitatif, en tant que marchandises à vendre.


K. Bouachiche : Tout est là cher confrère. On consomme sexuellement autrui. Le partenaire sexuel se définit donc comme un objet d’aide à la masturbation. On ne fait plus l’amour, on se masturbe à deux dans une incompréhension réciproque. Je soumets l’idée d’une sexualité solidaire, équitable, qui prône la curiosité de l’autre, l’envie de séduire l’autre, de sentir le désir monter en lui. Il faut savoir donner pour pouvoir recevoir. Les conséquences directes d’une telle pratique monomaniaque sont dangereuses car elles induisent une notion de frustration. Nous usons d’un plaisir artificiel qui, à un moment de rupture, devra s’accomplir réellement. Cet accomplissement peut se faire malheureusement par le viol. Le sexe peut se concevoir également comme soupape de la vie sociale que vous définissiez plus haut en tant que vie difficile. Nous ne pouvons résolument pas ignorer cet aspect sociologique. La solution, quelle est-elle ? Je l’ignore, bien entendu, même si je suis fermement convaincu que l’absence de lieux propices à la rencontre est un facteur décisif dans la conception même de la sexualité moderne. La prostitution doit être reconnue comme métier à part entière. Nous avons à lui donner une visibilité sociale. Elle doit donc être encadrée, gérée par les politiques, et naturalisée de surcroît. Outre cela, je ne voulais pas forcément parler de maisons closes qui là encore rendraient le sexe consommable, je voulais mettre l’accent sur des lieux véritables où la rencontre ne serait pas provoquée mais plutôt spontanée – je réfère ici aux bals d’époque par exemple. Ce n’est pas tant qu’on manquerait d’espaces de rencontre où une spontanéité pourrait surgir, c’est que nous multiplions au contraire des sites référencés et codifiés dont la seule fonction est de provoquer la rencontre. Comment alors éprouver du plaisir dans un cadre limité et prédéfini ?


K. Deveureux : En agrandissant les espaces sensiblement destinés à inventer de l’occasion sexuelle, on diminue à la fois la compréhension du concept sexuel ainsi que le temps de faire proprement du sexe. C'est-à-dire que nous agissons en fonction d’une essence sexuelle qui assassine l’existence de l’acte en tant que geste qui se construit sans référence. Le versant unilatéral d’un désir qui cherche à se consommer en consumant l’autre me rappelle l’exemple du cyclope que j’utilisais en abordant le thème de l’égoïste relationnel. Pour que le cyclope se donne une chance d’avoir une relation, il est nécessaire qu’il reçoive une flèche empoisonnée dans l’œil afin que celui-ci se divise, formant ainsi un regard. Les hommes et femmes qui se comportent comme des partenaires intransitifs sont objectivement des cyclopes qu’il faut tromper. Sous la stratégie consumériste, je demande une stratégie de positionnement qui réhabiliterait les bienfaits du marivaudage, voire les craintes et les tremblements du romantique. Dans l’idéal, l’amant moderne devrait essayer de quitter le costume d’Hercule pour choisir celui d’Ulysse. Sans aller jusqu’à espérer la patience d’une Pénélope en chaque femme, j’aimerais qu’on atteste de cette possibilité et que, en bout de ligne, toutes les rencontres soient réalisées non pas dans l’optique de la représentation mais dans l’optique d’une projection continuée. On atteindra cette continuité de préservation seulement quand on aura résolu le problème du sexe comme représentation. Autrement dit, apprenons à vaincre la tyrannie de l’orgasme en reconnaissant la possibilité de recommencer la procédure. Il n’y a pas d’amants faibles, il n’y a que des femmes machines.


K. Bouachiche : Vous m’obligez, cher ami, à m’interroger sur la place des femmes au sein d’une relation sexuelle ou amoureuse. Selon vous, les femmes seraient alors trop exigeantes quant à leurs désirs amoureux, établissant ainsi une tyrannie de l’orgasme. Toutefois il y a une notion que l’homme ne peut prendre en compte dans une relation, je parle évidemment du sacrifice. Une femme est plus encline à se sacrifier pour le bien du couple. La simulation, je vous l’accorde, est parfois nécessaire. Il est étonnant, lorsqu’on s’intéresse au milieu carcéral, d’établir une proportionnelle entre les visiteurs féminins et les visiteurs masculins. Je discutais il y a peu avec un monsieur italien dont la femme est incarcérée depuis près d’un an. Ce monsieur me confiait sur un ton solennel qu’il n’attendrait pas son épouse si celle-ci était condamnée à plus de cinq ans alors que, parallèlement, j’ai observé des femmes capables de s’annihiler à la vie de leur compagnon incarcéré pendant presque dix ans. Je parlerais donc d’une lâcheté masculine dans une sexualité jusqu’ici à dominante misogyne. Il est manifeste que cette sexualité déséquilibrée à tendance à se réajuster. Je dirais même que nous sommes en passe d’inverser le processus, provoquant de ce fait une soumission de l’homme. Cela n’est pas insignifiant; on observe actuellement un questionnement de l’homme moderne sur son identité sexuelle propre. Ainsi plus un féminisme est fort, plus l’homosexualité est latente.


K. Deveureux : Sans contredit, l’oligarchie féministe instaure une démocratisation silencieuse de l’homosexualité, particulièrement au Québec où nous sommes présentement en observation et en vacances. Les femmes du Québec doivent être excessivement attentives à ces dérives, devant s’attendre à tout moment à ce que leur mari quitte les latitudes de l’hétérosexualité. L’homme est suffisamment une machine en milieu professionnel pour qu’on exige encore de lui qu’il soit un pénis automatique. En revanche je reconnais au féminisme le droit de critiquer les hommes qui étaient déjà des genres de machines avant l’accroissement des thèses féministes, ces dernières étant défendues avec une belle rigueur scientifique par Judith Butler. J’entends par l’homme machine un individu qui augmente son étendue matérielle en divisant continuellement sa substance cognitive. Ce n’est pas son âme qui pilote son corps, c’est son corps qui pilote son pénis, le pénis étant dans ces conditions une excroissance d’identité – l’homme machine appréciant de nommer son phallus. Les femmes qui subissent les assauts de ces partenaires sont tout à fait exonérées d’être devenues des féministes belliqueuses, et je pense que l’assassin de Polytechnique à l’Université de Montréal n’a été que le précurseur visible d’une éthique de la déraison sexuelle contemporaine du point de vue masculin. Lors de mes relations intimes, j’ai noté l’étonnement des femmes cependant que je faisais acte de retrait. Mon incapacité à me soulager dans le corps de ma partenaire est due à ce sentiment que je souillerais la femme si je lui administrais une substance génératrice sans intention de procréer. En me retirant, je fais office de cénobitisme : je participe à la relation réciproque sans donner cette impression que je m’étale. Si j’étais dans le monachisme, je pratiquerais l’onanisme hypocrite, et si j’étais dans l’anachorétisme, je ne serais pas crédible. Par conséquent, et bien que je déplore les avancées démesurées du féminisme, j’accorde aux femmes fortes cette répulsion des hommes qui pratiquent soit un monachisme de surface qui ne vise qu’une fin complétive, soit un anachorétisme maladif qui compresse le désir dangereusement, et j’appelle finalement à une pratique du cénobitisme dans laquelle on intègrerait le sexe. Récupérer de l’éthique religieuse dans le sexe, je ne vois que cela pour rattraper le sexe de son nouveau testament consommateur, tout comme je ne vois que cela pour archiver la religion à travers une réévaluation d’ordre corporel.

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