samedi 17 janvier 2009

Le concept du kleenex.


Mon tendre ami K,

Je vous remercie d'avoir apporté un semblant de réponse à mon interrogation. Mais je me demandais, à la suite d’une déception amicale, si finalement la matière humaine ne serait pas un immense stock d'objets individuels que l'on use à sa convenance et que l'on jette après qu’on s’en est lassé. Je note dans les sociétés occidentales, et je ne suis pas le premier des sociologues à en faire le constat, une déstructuration des modèles de solidarité et de cohésion. Les deux principaux totems, pour faire une courte allusion à Monsieur F., sont la famille et la religion. Je m'abstiendrai d'évoquer l'affligeant renoncement du libre arbitre au profit d'une soi-disant manifestation divine aux éclats purs et lumineux. La cellule composée de membres de même chair reste l'option la plus passionnante. Elle est un savant mélange de solidité et de porosité. L'effet solide s'explique naturellement par le fait que la famille est notre environnement primal qui conditionne nos futures actions. En effet, on ne peut contredire une mère ou un père puisqu'il agit au nom de notre bien. On a donc une fâcheuse tendance à se laisser guider par ce sentiment stupide, si bien que lorsqu'un drame arrive au sein de cette même unité, on ne peut y croire. Je parle évidemment de l'inceste. L'enfant subit une malveillance qu'il ne peut concevoir comme telle puisqu'il n'a pas accès à un mode de comparaison. Ainsi avec la libération sexuelle des femmes dans les années 68 et 70, on a poussé la nouvelle génération juvénile dans les bras du divorce et de la relation amoureuse consommée, voire condamnée. La consommation force tout individu à se lasser d'une personne (pardon d'un objet) une fois tout déballé, rongé, usé et rompu. Ce qui entraîne un nouveau monde d'individualité, difficile à supporter puisqu'elle n'est pas choisie mais subie. Alors on se regroupe dans des communautés de gens qui nous ressemblent trait pour trait. Je ne suis pas contre une certaine forme de rassemblement tant qu'elle n'est pas cloisonnée. Or dans notre société actuelle, on cloisonne ces regroupements, et l’on se retrouve parfois à dire « désolé, je ne peux pas te fréquenter car tu as fait le choix de vivre seul. Mon schéma est trop différent du tien. Par conséquent, je t'exclue de ma vie ». Une émission de télé américaine dont un étudiant m'a parlé a repris à merveille ce concept de la lingette jetable. Le principe est simple : un homme ou une femme célibataire doit rencontrer cinq autres « singles ». Si le premier ne convient pas, il suffit de dire « au suivant ». Et comble de l'horreur, si jamais l'objet de toutes les convoitises décide que l’un des cinq protagonistes lui plaît, celui-ci se retrouve soumis au choix cornélien de l'être plébiscité, à savoir « un autre rendez-vous ou une somme d'argent relative au temps passé ensemble ». Cela illustre parfaitement mon propos : le concept du Kleenex. Cette dérive est sanglante car elle redynamise ce fléau de notre époque (je veux bien sûr parler de l'exclusion).
L'exclusion est la forme de violence la plus barbare de notre société. Elle déstructure les individus, les rendant asociaux, formant une dynamique de colère et d'agressivité qui un jour ou l'autre nous explosera en plein visage. J'attends ce moment avec impatience car, croyez-moi cher collègue, je regarderai ce beau spectacle avec condescendance et cynisme.

Futurement vôtre,

K.B

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