jeudi 12 mars 2009

Archivage de la religiosité.


Camarade Bouachiche,

Au lieu de penser crédulement que Dieu a déposé en nous la marque de sa main savante, vous faites l’étalage de ce que j’appellerais la raison de la pensée sceptique. Non pas que votre scepticisme soit trop fort pour espérer atteindre une solution convenable, mais il est totalement justifié par les seules observations qui nous sont données, à savoir ici l’exemple pitoyable de cette petite fille écartée de sa communauté brésilienne en raison de quelques dislocations idéologiques fondées sur des fanatismes grossiers. Nous devons supposer que les chefs d’accusation qui catégorisent cette enfant relèvent d’une autorité complètement juridique si nous voulons interpréter correctement ce geste. Le problème étant que l’excommunication ne fait pas partie des notions juridiques attestées, si bien que le tribunal mis en place a tout d’un Jugement Dernier, lequel a sournoisement conclu qu’une enfant de neuf ans s’était rendue coupable d’une hérésie dont elle n’est a priori pas capable de reconnaître la nature hérétique. C'est-à-dire qu’une institution s’est programmée avec suffisamment d’omnipotence pour faire des actes d’une enfant autant de particularismes infâmes, en l’occurrence des particularismes qui ne s’inscrivent pas dans un rapport d’harmonie avec la raison universelle qui gouverne là-bas. De cette situation absurde et théâtrale, je retire deux questions : Si la logique religieuse est respectée jusqu’au bout, comment se fait-il qu’un jury ait pu subitement décider du sort d’une jeune fille dans la mesure où le monde ne dépend que d’une volonté divine à même de prendre ou de donner la vie et, partant, à même d’infliger une peine symbolique ou d’épargner la punition d’un péché véniel ? En conséquence de quoi, comment des créatures de Dieu ont pu prétendre lire dans les pensées du grand Maître attendu que les voies du Seigneur, essentiellement parlant, passent pour être d’une impénétrabilité légendaire ?
Parce que Dieu est l’occasion d’un immense problème d’interprétation, quelques hommes malintentionnés se croient autorisés à le chosifier en fonction de leurs volontés mauvaises. Ce sont des gens que la vie religieuse ne satisfait pas dans la pratique humble d’une recherche de la foi. Longtemps nous avons recensé des prêtres qui partaient au désert, des bonnes sœurs qui se cloisonnaient derrière les murs d’une basilique, des Pères de l’Eglise qui se livraient à des gloses spécifiques mettant à l’épreuve des sujets d’une redoutable difficulté, bâtissant de ce fait les racines de la patrologie chrétienne. Ce monde de dissimulation et de discrétion un peu malsaine n’existe plus et de nos jours le curé se masturbe à la vue de la moindre évocation phallique. Mais la pratique onaniste n’est pas une réforme dogmatique qui aurait surgi de nulle part, elle a constamment été l’apanage des vies de réclusion idéelle. A force de concéder un asservissement spirituel, la nature humaine a castré l’ensemble de la nature corporelle, faisant de celle-ci l’occasion de constater des comportements plus ou moins de connivence avec l’idée d’un cerveau programmé pour penser Dieu.
A la suite de quoi, des compétitions d’envergure ont commencé à jalonner l’intérieur silencieux de tous les édifices religieux. On promettait le bonheur à qui aurait la faculté de montrer toujours plus de soumission à Dieu. On faisait de sa chair le charbon des grandes cheminées célestes afin de se prémunir de toute nature désirante. On a paradoxalement banni l’amour de soi en se persuadant de la sorte de mieux aimer autrui. Et voilà le résultat admirable après des siècles d’histoire : on renvoie une enfant en bas âge de sa communauté parce qu’elle ne correspond pas au sacro-saint critère. C’est dire la fragilité de cette pensée si l’on suppose la raison d’une jeune enfant assez forte pour faire péricliter deux mille ans de raison canonisée.
A vrai dire la religion a engendré des créatures qu’elle ne maîtrise plus. Les animaux de l’arche de Noé préfèreraient aujourd’hui périr de noyade plutôt que d’être sauvés par un pseudo héros féru d’artisanat (je pense en particulier aux animaux aquatiques ; quant aux amphibies, ils auraient dans ces conditions choisi la fluidité de l’eau plutôt que la rigidité du paradis terrestre). Je souscris par conséquent à vos conclusions sans objecter la moindre argumentation contrariante. L’homme n’est définitivement pas l’image de Dieu, auquel cas il ne perdrait pas de temps à traquer les animaux que jadis il s’est plu à libérer d’une mort certaine. Dieu est à l’inverse recouvert du voile brumeux de la raison humaine. Pires sont ceux qui se mettent soudainement à croire en Dieu afin de justifier leur errance du moment. Cette errance peut être de toutes sortes, comme par exemple l’égarement d’un tribunal qui se dit compétent en linguistique théologique, ou encore le jeune adulte paumé qui se réfugie dans des textes dont il ne comprend presque rien tout en y fondant l’espoir d’y trouver presque toutes les solutions à ses faux problèmes. A l’image des consciences, Dieu est d’une malléabilité qui ne va décidément pas avec la nature de ses attributs : Un, indivisible, omniscient, tout-puissant, infiniment sage etc. Dieu est devenu la caution des faibles ou l’argument des manipulateurs. Si je suis faible, j’en appelle à la sagesse de Dieu pour me guérir de mes inconséquences – ce qui du même coup m’évite d’avoir à faire un effort de compréhension du monde dans lequel j’use la substance de mon ennui. Et si je suis un manipulateur, je comprends très vite que les décrets du Ciel peuvent être d’une force considérable si je parviens à les appliquer sur Terre. C’est donc la porte ouverte à la confusion de tous les genres.
Qu’ai-je alors à proposer en tant que philosophe ? Je voudrais que la religion devienne purement et simplement un objet d’histoire. La décadence des pensées ne peut plus espérer imiter l’attitude des anciens Pères de l’Eglise. Ceux-ci se déchargeaient en secret mais ils avaient la dignité de ne pas répandre leurs fantasmes. De nos jours trop de remuements encerclent les espaces religieux, on ne peut donc plus se concentrer. Et puis je trouve que cette idée de s’isoler alors que la population terrestre ne cesse de croître est une idée au minimum obsolète. Par conséquent l’historicisation de l’Eglise aidera à la vaccination de cette trisomie protocolaire.

Miraculeusement à vous,

K. Deveureux.

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