dimanche 8 mars 2009

Evviva il papa re !


Cher Khalid Bouachiche,

La pensée unique est une boutique ouverte tous les jours. Sur ses étagères, un déferlement de visages pétrifiés par l’éternité. Contre les murs, des affiches promotionnelles pour ne pas risquer de faire le mauvais choix parmi la ressemblance. On sait d’avance ce que l’on choisira parce que rien n’est à choisir sinon l’assurance de ne pas se tromper. Et bien entendu, tous ceux qui n’entrent pas ici ne méritent pas qu’on leur adresse la parole car rien n’est à comprendre en dehors ce que qu’on a choisi. La puissance mystique attire les foules dans les grottes humides de la foi. Les ouvriers de l’Eglise aménagent l’espace public en bâtissant des propriétés privées où naguère se promenait l’esprit en quête de plein air. Car les textes sacrés sont si peu convaincants qu’il leur faut nécessairement se prolonger dans la pratique de ce qui par définition devrait demeurer perché quelque part au-dessus des nuages. L’ennui délétère des hommes dépourvus d’imagination s’est plu à faire descendre un avatar de Dieu sur la Terre. Et depuis certains l’attendent de nouveau quand d’autres prétendent discuter chaque jour avec lui. Quant à moi, je suis dans l’expectative d’une preuve de l’existence de Dieu qui soit érigée par d’autres cerveaux que ceux des philosophes. Car l’hypocrisie est telle que les philosophes sont jetés au rebut alors que ce sont eux qui ont fait l’effort de proposer une logique à Dieu, ce sont eux qui l’ont libéré de la révélation étrange, laquelle est comparable à une crise d’adolescence.
Sommet du ridicule, Dieu est même devenu l’argument juridique par excellence. La responsabilité, que vous mettiez à mal en démontrant qu’elle était souvent dépénalisée, est d’autant moins respectée qu’elle se trouve parfois absorbée par une surprenante injonction divine. Les tribunaux acquittent aujourd’hui ceux qui ont agi sous l’impulsion divine ! Cela est très étonnant pour les sociétés qui se réclament de la laïcité. Non seulement Dieu n’est pas séparé de l’Etat, mais il est d’autant plus omnipotent qu’il vient d’intégrer les discours judiciaires. Ah décidément les Jésuites sont coriaces !
Ce regroupement autour de Dieu est une façon plus ou moins habile de ne plus se sentir coupable face au manque de créativité. D’ailleurs Dieu est l’auteur de la création continuée, alors ce serait lui faire injure que de vouloir créer en recouvrant son œuvre quotidienne. Christo Javacheff peut s’estimer heureux de n’être pas encore crucifié par une horde sauvage, lui qui recouvre littéralement la création divine d’un tapis artistique. Trop peu sont conscients que le travail de cet artiste est un moyen de réinventer le paysage sans disqualifier le précédent. Il superpose les attributs de la nature en posant la question de la limite : à quel moment peut-on dire que la nature est dénaturée ? Je crois en fait qu’elle ne l’est jamais. En tout cas elle l’est moins que lorsqu’elle se retrouve investie par le désir de gigantisme des fanatiques religieux. Ma connaissance de l’art est limitée au champ de l’esthétique, donc je ne sais pas si Christo a déjà recouvert de son geste un édifice religieux de grande renommée. Mais je voudrais qu’il fasse successivement l’expérience à la basilique Saint-Pierre de Rome, à La Mecque puis à Jérusalem, le tout sans ordre imposé. On verrait donc si nous sommes sortis de cette époque où les objets étaient sacralisés, cette époque où le barbare Mâtho, revêtu du voile de Tanit, pouvait circuler parmi les rues de Carthage car aucun civilisé n’osât l’approcher alors qu’il était en possession de l’objet intouchable par excellence. Cette scène est l’un des moments clés de Salammbô, à la fois un grand moment de littérature et de lucidité intellectuelle.
Ma conclusion est sans appel : il suffit de se faire passer pour croyant et le tour est joué. En déguisant sa pensée d’une argumentation dogmatique, on intègre les groupes fanatisés qui se laissent par conséquent tromper par les apparences. La religion en ce sens est une affaire de visibilité car elle sait intimement être sans succès lorsqu’il s’agit de questionner les âmes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, peut-être, elle s’est toujours condamnée à punir les corps au lieu de considérer les châtiments psychologiques. Que Dieu les pardonne, ils ne savent pas ce qu’ils font.

Dévotement vôtre,

K. Deveureux.

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