mardi 16 décembre 2008

Les vagissements dérisoires.


Cher K. Bouachiche,

Un déterminisme intellectuel me souffle des réponses que je ne saurais adopter. Votre propos sur le bonheur est remarquable. Non seulement il révolutionne les discours épuisés sur la question (je pense aux écrits vieillots d’Alain), mais en plus il inaugure des chemins de pensée tout à fait stimulants. Naguère l’idée du bonheur était associée à une forme de chance. En déterrant un passé encore plus lointain, on se positionne en face d’un bonheur considéré comme pratique privée. Toutes ces idées sont périmées. Elles ont été chassées par la vague d’une époque où la relation aux autres est essentiellement définie par la notion de combat. Notre combat, notre kampf, consiste en une stratégie d’évitement de l’autre en vue de préserver ce que nous pourrions appeler le combustible de notre être. Nous sommes comparables à des locomotives individualistes : pas question de tracter les wagons de l’amour ou de je ne sais quelle relation humaine, nous sommes le seul ouvrier de la machine à pouvoir saisir les pelletées de charbon pour les introduire dans le ventre de la bête. Il est donc aisé de conclure cette réflexion en effectuant des rapprochements sémantiques. Le mouvement naturel du crémaster est aux testicules ce que notre charbon ferroviaire est à la crémation de notre combustible. Toutefois ces deux fonctionnalités ne sont pas renouvelables, ce qui nous enjoint de la sorte à nuancer nos méthodes d’évitement. Il faut donc se mettre en quarantaine avec parcimonie. L’attitude inverse correspond à l’épouvantable nihilisme de mademoiselle P.
Je crois, concernant cette nécessité de la nuance, qu’un muscle tel que le crémaster est profondément didactique. Parce que le crémaster possède une capacité d’adaptation époustouflante, il n’est jamais en disgrâce avec le binôme testiculaire. Or cet ajustement perpétuel entre le chaud et le froid nous apprend que le système du « couple » n’est jamais aussi bien portant qu’au moment où il évolue tièdement. Seule une agression violente serait susceptible de perturber l’entente testiculaire. J’entends par là un coup de pied dans l’entrejambe ou n’importe quel autre choc malvenu qu’on voudra bien admettre. La douleur devient alors prévalente sur le mécanisme : le mal précède le bien futur, ce qui moralement nous enseigne qu’un mauvais coup n’est jamais qu’un accident de parcours. Réjouissons-nous quand notre crémaster est agressé, cela prouve qu’il est vivant, organiquement solidaire et particulièrement soucieux de la façon dont les testicules s’arrangent. Vous avez à peu de chose près un phénomène similaire quand l’individu masculin est excité. Le crémaster dispose les testicules à répondre favorablement à l’excitation visée, ce qui signifie qu’il est capable de résoudre toutes les équations du plaisir tant que celui-ci n’est pas contre-nature.
De ce fait, l’activité et la passivité sont déjà des états de l’être qui n’impliquent pas forcément la présence d’un autre. Nous sommes constitués d’énergies antagonistes selon des intensités variables. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les femmes sont cyclothymiques : elles font alterner joie et malaise, quelquefois indécises jusqu’au bout du raisonnement, désirant ceci ou désirant cela sans procéder à un choix souverain. Et comme le bonheur, en principe, est une finalité de la volonté humaine, cela explique le malheur des femmes dans la mesure où elles aspirent à quelque chose qui se dégrade continuellement faute de pouvoir le saisir fermement. Les menstrues ne sont à ce propos qu’un rejet organique de toute l’aigreur accumulée pendant les semaines qui devancent les défécations sanguinolentes. C’est la raison pour laquelle une femme qui « a du retard » est faussement inquiète : elle commence à se réjouir puisqu’elle constate une vie intérieure apaisée, c'est-à-dire une vie qui, momentanément du moins, n’éprouve plus le désir d’évacuer la mauvaise herbe si vous me passez l’expression.
Je complète ainsi votre thèse : l’orgasme est un bonheur féminin éphémère qui tend à se compléter grâce à l’espérance d’une gestation – d’où le fait que certaines femmes nous font des bébés dans le dos. La venue d’un enfant est salvatrice à plus d’un titre. L’enfant est d’abord objet de création, source des fiertés imbéciles en cela que la conception de l’enfant est indépendante de toute volonté artisanale. On ne fabrique pas son enfant comme on élabore une sculpture en pâte à sel. A la suite de quoi, une fois que ces émerveillements insupportables sont consommés, l’enfant permet aux femmes d’oublier leur condition irrégulière. Elles se promènent dans les parcs en faisant la rencontre d’autres mères béates. De longues discussions s’entament sur les manières de porter la progéniture, ou bien sur l’utilité de faire l’acquisition d’une poussette dont les roues avant sont pourvues d’un système de freinage. Bref, au moment où elles ont perçu un indice de vie en elles-mêmes à travers la gestation, ces néo-accoucheuses oublient de vivre dès lors que l’enfant vient au monde. Le cercle est progressivement vicieux : plus une femme a d’enfants, moins elle se rend apte au bonheur. Parallèlement, plus un homme a fait l’erreur de faire des enfants, plus il s’interdit la tiédeur du « couple ». Si bien que cette sacro-sainte manie de vouloir des enfants m’apparaît comme le commencement d’une incompréhension vis-à-vis des équations qui ont des inconnues opposées à ce modèle particulièrement réducteur. Vous le savez ou vous le déduisez de nos propos : il n’y a pas pire qu’un enfant qui se découvrirait homosexuel dans une famille nombreuse.

Commodément à vous,

K. Deveureux.

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