dimanche 28 décembre 2008

Nous devons mourir.


My dear friend,


Je vois que votre prise d'âge supplémentaire vous tourmente durement. J'espère seulement qu'il ne s'agit pas d'un problème de santé qui interfère sur votre réflexion. Un cancer est si vite déclaré. Votre dernier courrier m'a stupéfait par votre approche en filigrane de la fin des fins, le néant, la grande inconnue, en d'autres termes la mort. Il est plaisant de regarder les traditions funéraires en occident. Nous, vieux continent, tentons inexorablement de conserver des reliquats de nos chers disparus. J'ai assisté à un grand nombre de cérémonies mortuaires, à travers beaucoup de pays, et j'ai noté une certaine analogie entre le déroulement de celles-ci et le caractère marqué du défunt. J'ai perdu, il y a peu de temps (moins de deux mois), une collègue de travail qui, lors d'un voyage en Roumanie, mourut étouffée par son amertume. Eh bien croyez-moi, cette femme d'une hypocrisie sans borne, dont la seule motivation était de bâcler ses recherches en sciences sociales au profit d'une liasse de papier imprimé, a eu une mise en bière à son image. La messe ne fut qu'une suite de publicités racoleuses pour la paroisse d'un Don intégriste qui passait son temps à poursuivre chaque chrétien avec sa corbeille, en priant ceux-ci de se taire par un « chut, chut » des plus bruyants. Si bien que me connaissant, je n'ai pu tenir sur la totalité de la séance et je me suis éclipsé lors de la sortie d'église.

Je ne crois pas au manichéisme de la vie future dans l'au-delà. Néanmoins je crois à l'ultime implication sociologique du bout de viande en décomposition en fonction de l’hommage rendu. Je réadapterai l'expression « tel chien, tel maître » par « tel enterrement, tel défunt ». Le mimétisme est plus que flagrant. Cette épreuve de la mort est davantage redoutée par l'entourage que par le mourant lui-même. Ainsi, il s'opère une tentative désespérée de conservation de l'être bientôt fauché. Et vous le dites parfaitement dans votre précédente lettre, notre société vieillissante tente irrémédiablement de garder, dans un égoïsme affligeant, un corps qui au fur et à mesure que le temps passe se vide de son essence. Et tout un dispositif médical existe pour essayer de remplir à nouveau ce corps d'un substitut d'âme. Voilà pourquoi notre société occidentale ne peut admettre l'euthanasie, et quand elle est permise dans certaines contrées, elle se définit uniquement par le profit engendré. On ne peut donc pas admettre la disparition de soi, le fait de ne plus être, il faut qu'on garde des souvenirs de l'individu, des photos, des reliques de cheveux et autres... Cela est, à mon sens, prodigieux de connerie, pardonnez-moi l'expression ! Chaque mort est pour moi, à l'image de cette formidable série d'Alan B., une nouvelle page blanche sur notre livre de la vie. Elles nous ouvrent de nouvelles perspectives sur notre propre chemin de vie. Ce qui fait peur, finalement, dans la disparition d'un proche, c'est l'impossible assimilation, par notre conscience, que l'autre fait partie maintenant d'un infini néant. Et ce propos se retrouve dans tous les domaines, on ne cesse de chercher à reproduire et conserver une mémoire collective des choses passées. Cela nuit à notre civilisation, à tel point que nous referons, un jour ou l'autre, les mêmes erreurs que celles de nos ancêtres. Un jour, lors de mon cours de sociologie active, j'ai proposé à mes étudiants de faire un petit exercice nommé « Le Bunker ». Je pense, cher confrère, que vous en connaissez le principe : il s'agit de proposer tout un tas de personnalités, comme un vieux médecin, une femme enceinte etc. et de les confronter à la fin du monde. Le rôle du Bunker est de sauver cinq entités qui auront la lourde tâche de reconstruire la société terrestre. Croyez-moi, les résultats sont excitants au possible. Les trois-quarts de mes élèves recommencent le même schéma que celui qu'ils ont connu. Aucun d'eux ne fait le terrible constat que c'est le système qu'ils ont connu qui les a menés à leur perte. Un parallèle est à faire en matière d'éducation ; elle est fondée sur cette « transmission du savoir ». La faculté n'est pas là pour vous recracher des connaissances altérées mais plutôt de vous aider à émettre une véritable pensée progressiste et innovatrice. Ce désir impétueux d'immobilisme est en train de scléroser notre évolution. Nous nous devons de mourir intellectuellement pour renaître tel le phénix...

See you soon my dear...


K.B

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