mercredi 31 décembre 2008

Quatre-vingts milliards de gens l'ont déjà fait.


Mon cher et tendre Konstantinos,

Permettez-moi cette petite fantaisie d'expression digne du romantisme mais je suis d'humeur guillerette. Je sais que cela contrebalance un peu avec notre sujet actuel de discussion mais un peu de gaieté ne tue point. La mort est un sujet vaste et passionnant. Mais pourquoi nous fascine-t-elle autant ? Probablement parce qu'on ne peut la cerner et qu'elle arrive souvent quand on ne l'attend pas. J'ai beaucoup aimé votre raisonnement quant à l'influence de la vision personnelle de la mort sur l'expérience de celle-ci. Je vous donne mon approbation sans retenue. Ce qui est intéressant, c'est cette personnification que prend la mort sur l'individu comme si, finalement, sa manifestation n'était que le reflet de nos pires craintes. J'adore ce cynisme. C’est d'autant plus cynique dans la mesure où il y a inscription d'une vérité absolue. L'expérience de la mort est pour moi un formidable regain de joie ; non pas d'avoir perdu un être cher, mais de me dire la vie m'offre encore tant de choses à découvrir. La douleur et la tristesse nous accompagnent, bien sûr, mais succomber au mal est un renoncement qu'il m'est impossible d'accepter. Et pourtant, j'en ai perdu des amis, morts de toutes sortes de façons, si bien que je pourrais me sustenter d'un catalogue dans lequel je notifierais toutes les souffrances qui les accompagnent comme une sorte « d'herbier de la douleur ». Mais je ne peux m'y résoudre sincèrement et lorsque je fais face au décès d'un proche, je ne cesse de me rappeler ces paroles d'une chanteuse peu ordinaire. Je vous fais part, mon cher ami, de ce petit joyau :

(Refrain)

C'est le moment de mourir,

Plus le moment de vivre,

Il va falloir vous quitter

Comme quatre-vingts milliards de gens,

C'est le moment de mourir,

Plus le moment de vivre,

Il va falloir décéder

Comme quatre-vingts milliards de gens

L'ont déjà fait.

Une clinique un soir d'été,

Ca donne envie de chanter,

La vie, le vent et les amis

Même si c'est pour dire que c'est fini,

Avant de choisir pour demain

Le chêne ou bien le sapin,

J'oublie les tumeurs, les remords,

Je laisse courir mon coeur

S'il bat encore

J'aurais tant de choses à vous dire,

Si j'arrêtais de vomir,

Même pas de mots qui gonfleraient vos yeux,

Non, pas de mots qui suintent,

Pas de mots têtieux,

Je serais pas chiante à mourir,

Patafiole à refroidir

Est-ce qu'un poisson pérore quand il pourrit ?

Mais assez discuté,

Il est l'heure de s'en aller,

Plus le temps de vous dire merci,

Plus le temps de revoir ma vie


Ce texte exprime parfaitement le relent de sympathie mièvre et écoeurante que les gens ont à votre égard lorsque vous vous apprêtez à franchir le miroir sans tain. Le sentiment le plus infect, qui accompagne toujours ces tragédies grecques de la mort, et qui pourrit réellement les hommes, c'est la nostalgie. Et là, cher confrère, autorisez-moi à faire un pendant à mademoiselle P. avec un étudiant que j'ai connu il y a quelque temps, monsieur A., qui, tel le plus grand des paradoxes, revendique fermement la paternité de ce fielleux « feeling » tout en fuyant à toutes jambes le pâle reflet d'une vie pas folichonne. Cet élève, dont j'ai tenté à plusieurs reprises de fléchir son incapacité à la culture, est l'essence même de la torture passéiste du souvenir. A tel point que ce Monsieur garde sous son lit de grandes boîtes en plastique dans lesquelles il conserve chaque centimètre carré de sa vie passée. Cela est proprement prodigieux ! Mais le pire ne réside pas dans cette manie de vieil acariâtre. Il devient antinomique au moment où il refuse de se poser cinq minutes en face de lui-même ainsi que de ses choix afin de s'affronter, et de la sorte voir ses erreurs et ses faiblesses. Ceci est tout bonnement inconcevable dans cette caboche de nain de jardin. Comment peut-on être aussi conservateur et ne pas regarder le fondement de son existence ? Cela me dépasse et je dois dire que « cet enfant » est une énigme pour moi, un défi de tous les jours auquel je prédis, tel une madame Soleil du 21ème siècle, une mort des plus atroces, avec une lente agonie et une souffrance le clouant au lit, l'obligeant à refaire le tracé de son destin misérable et nauséabond dans les boulettes de chewing-gum collées au faux-plafond de l'hôpital. Une fois de plus je suis consterné, et une fois n'est pas coutume, je m'emporte à nouveau. N'allez pas croire, mon ami, qu'il s'agit d'une fougue amoureuse ! Bien au contraire ce jeune homme est pour ma part inapte à être aimé. Et j'en suis fort désolé pour lui. Nul ne peut fuir sa propre existence, on finit toujours par être rattrapé et, comme vous le dites si bien, fauché en plein vol. La nostalgie, tel un tableau de Monet, Impression au soleil levant, présente l'incandescence même de ce sentiment usité par les faibles, par des individus incapables de faire face. Et Dieu sait combien il y a de nombreuses copies de ce peintre sur cette planète. Il est tellement facile de faire semblant de ne rien voir et de ne jamais rien assumer de ses choix. Je déteste la mélancolie, laquelle donne du crédit aux politiques révisionnistes. Pourquoi ne pas regretter les chambres à gaz alors ? Ces narrow-minded me donnent la nausée. Il est là le véritable danger d'une société : nier ses erreurs et refuser d'aller de l'avant, soit vers un élan neuf et créatif. Je suis abasourdi... Je le répète encore, nous devons mourir. Et je rajouterai même que nous le devons comme quatre-vingts milliards de gens l'ont déjà fait avant nous.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

beaucoup appris